Nucléaire et décarbonation : la France ne cède pas à l’Allemagne

May 16, 2023
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Après avoir examiné le sujet sous tous ses aspects, après avoir écouté ses ministres – Agnès Pannier-Runacher et Bruno Le Maire –, après avoir entendu l'avis de ses diplomates et pris connaissance des recommandations de ses conseillers élyséens, Emmanuel Macron a pris sa décision : en l'état, le « compromis suédois » sur la directive européenne relative aux énergies renouvelables n'est pas acceptable. Il faut prolonger la discussion sur la directive dite RED III, dont l'article 22b, consacré à la décarbonation de l'industrie, est problématique pour les pays possédant du nucléaire. Tant pis pour les antinucléaires, à commencer par l'Allemagne et l'Espagne.

C'est la ligne que défendra le représentant français, mercredi 17 mai, au sein du Coreper I – l'un des organes décisionnels du Conseil –, avec le soutien de nombreux pays nucléarisés. Pour bien faire, la France avait, du reste, opportunément réuni, la veille à Paris, le « club nucléaire », dont elle est l'initiatrice. Un club désormais étendu à plus de la moitié des États membres, même si l'Italie, les Pays-Bas et la Belgique n'en sont que membres « observateurs ».

« On va faire et du renouvelable et du nucléaire »

Tout n'est pas à jeter dans la directive RED III. La France souscrira à l'objectif global d'un mix énergétique composé à 42,5 % d'énergies renouvelables fin 2030. La marche est très haute, mais Paris l'accepte. En revanche, le sous-objectif de l'article 22b concernant la décarbonation de l'industrie est intenable : 60 % de renouvelables réduits à 40 % sous certaines conditions dérogatoires d'ici à 2030. « En l'état, l'article 22b ne permet pas l'utilisation du nucléaire pour décarboner l'industrie », indique une source française. La discussion doit être prolongée « pour que tous les États nucléaires s'y retrouvent », indique-t-on à Paris.

À LIRE AUSSILa nouvelle bataille du nucléaireLes clauses dérogatoires qui figurent dans le « compromis suédois » – proposé le 30 mars – pour l'hydrogène bas carbone (à base de nucléaire) n'ont pas été jugées pertinentes. L'Allemagne essaie de limiter le recours au nucléaire français car elle craint toujours que Paris ne remplisse pas ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. « Je me refuse à avoir une pensée hémiplégique : on va faire et du renouvelable et du nucléaire. L'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire, ce sont des énergies complémentaires », avait confié au Point Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique.

Certes, la France n'a pas atteint les 23 % d'énergies renouvelables en 2020, contrairement à ses engagements de 2008. Mais, en vérité, cette promesse faite par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Écologie, n'était pas tenable. Les services de la DG énergie avaient prévenu que le déploiement du solaire et de l'éolien permettait à la France d'envisager une part comprise entre 19 et 20 % en 2020. Et c'est exactement ce qui s'est produit : en 2020, la France affichait 19,1 %. « Par volontarisme, Borloo a accepté l'objectif des 23 %. Et puis, en 2010, nous étions en présidence française de l'Union, Nicolas Sarkozy n'a pas osé revenir en arrière », rapporte un témoin de l'époque.

Préparer le coup d'après

Toujours est-il que la France a déployé ses énergies renouvelables au même rythme que les Allemands et s'est même offert le luxe de passer légèrement devant en 2021… Autrement dit, Paris n'a pas de leçon à recevoir de Robert Habeck, l'écologiste qui occupe le poste de ministre de l'Écologie et du Climat. En outre, le principe de la neutralité technologique figure dans le traité de Lisbonne et mérite d'être respecté. Ce qui est important, c'est d'atteindre la décarbonation du continent européen et non de privilégier telle voie – les renouvelables – ou telle autre source décarbonée – le nucléaire.

À LIRE AUSSIHydrogène, la grande illusion ? Il y a encore un peu de temps avant le prochain Conseil énergie, le 19 juin à Luxembourg. La Suède – pays nucléarisé – aurait voulu conclure cet accord sous sa présidence. Les Espagnols, qui prennent le relais le 1er juillet, sont farouchement opposés au nucléaire, qu'ils perçoivent comme un concurrent de leurs ressources en renouvelables, lesquelles pourraient doper leur compétitivité. Ils ne seront certes pas très aidants, sauf sur la réforme du marché de l'électricité, où leurs intérêts rejoignent ceux de la France – contre l'Allemagne, une fois de plus. C'est un risque à prendre.

Agnès Pannier-Runacher, quant à elle, prépare également le coup d'après. Aussitôt les objectifs de RED III inscrits dans le marbre, elle compte bien adresser à la Commission un courrier très explicite. Cet objectif global de 42,5 % de renouvelables en Europe en 2030 n'est pas étayé par une feuille de route. « Si l'on veut y arriver, si c'est un vrai objectif, et non un exercice purement déclamatoire, la Commission doit tracer les feuilles de route et doit accompagner en financements l'accélération des filières », confie une source au ministère de la Transition énergétique.

Source: Le Point