Cinéma, le retour des beaux jours
Irons-nous encore voir des films en salle ? Cette question se pose avec acuité, au moment où s’ouvre le 76e Festival de Cannes. Elle n’est pas nouvelle. La concurrence des nouvelles technologies écloses durant les dernières décennies aurait pu être fatale aux salles obscures. Ni l’arrivée massive de la télévision – en noir et blanc puis en couleurs –, ni les magnétoscopes, les cassettes vidéo, les DVD, les chaînes payantes comme Canal+, ni les services de streaming vidéo (Netflix, Amazon Prime, Disney+…) n’ont pourtant eu leur peau. A chaque fois, les prédictions les plus sombres sur la fin du cinéma sont tombées à plat.
La dernière crise paraissait exceptionnellement sombre, lorsque la pandémie de Covid-19 a conduit à fermer les salles du monde entier pendant des mois. Le tsunami de séries proposées sur les plates-formes a certes retenu des millions de spectateurs au fond de leur canapé. Mais la fréquentation repart dans presque tous les pays, sauf en Corée du Sud. L’attrait pour le grand écran, ce lieu de convivialité et de découverte, renaît une nouvelle fois.
Fin avril, l’institut Gower Street Analytics a revu à la hausse ses prévisions mondiales de recettes au box-office pour 2023, à 32 milliards de dollars, soit 29,5 milliards d’euros, (contre 42,3 milliards en 2019). La pente est clairement ascendante. En Europe, par exemple, la reprise s’est confirmée depuis le début de l’année et, selon l’institut Comcast, la France et l’Allemagne sont déjà revenues, en matière de recettes, à un étiage pré-Covid, contrairement à l’Italie et à l’Espagne. Autre indice encourageant, le nombre de films produits en Europe a quasiment retrouvé son niveau d’avant la pandémie en 2022 (avec 1 960 longs-métrages).
Nombreux premiers films
Les poids lourds Amazon et Apple – qui désormais investissent chacun 1 milliard de dollars dans la production cinématographique – ont enfin cessé d’ignorer les salles obscures. Présenté à Cannes, le dernier film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, avec Leonardo DiCaprio et Robert De Niro, produit par Apple, sera largement distribué en salle avant d’être diffusé sur Apple TV+. Tout comme Napoleon, de Ridley Scott, lui aussi produit par Apple.
Adoptant lui aussi cette stratégie, Amazon – le propriétaire du studio MGM – a également sorti en salle Air, de Ben Affleck, qu’il a produit, avant de le diffuser sur sa plate-forme. En matière de recettes, rien ne remplace le cinéma, mais surtout, le grand écran apporte aux films une désirabilité et un statut symbolique irremplaçables. Les GAFA, tout comme les grands studios hollywoodiens – à commencer par Disney, qui boudait ostensiblement les salles pendant la pandémie pour déverser ses films directement sur Disney+ – redécouvrent cette évidence depuis que la fréquentation mondiale repart à la hausse.
C’est dans ce contexte plutôt optimiste que s’ouvre le plus grand festival du monde, même si des zones d’ombre persistent pour qu’une création exigeante puisse perdurer. Cet événement est déjà marqué par la présence des grands studios américains et, phénomène très réjouissant, par la projection de nombreux premiers films. Sans surprise, certains cinéastes ont toujours leur rond de serviette à Cannes, comme le président du jury, Ruben Östlund, deux fois palmé, en 2017 et en 2022, mais aussi l’autre réalisateur doublement palmé, Ken Loach, ou encore Nanni Moretti, Wes Anderson et Jessica Hausner. La fête qui s’annonce nourrit la confiance. Oui, nous irons encore voir des films en salle.
Le Monde
Source: Le Monde