Élèves français mal classés en lecture : “Les professeurs manquent d’outils pour enseigner la compréhension des textes”

May 17, 2023
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L’étude internationale Pirls, qui évalue la maîtrise de la lecture chez les enfants, accorde un bonnet d’âne aux petits Français. L’éclairage de Marie-France Bishop, spécialiste de l’enseignement de la compréhension.

Dans une école primaire de Cerny, dans l’Essonne. BSIP/Universal Images Group via Getty Images

Par Marion Rousset Partage

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Selon l’enquête internationale Pirls (Progress in International Reading Literacy Study), conduite tous les cinq ans, et dont les résultats ont été dévoilés ce 16 mai, les élèves français sont mal classés en lecture. A-t-on délaissé l’enseignement de la compréhension au profit de l’acquisition du décodage ? Le point avec Marie-France Bishop, professeure émérite à l’université de Cergy-Paris, spécialiste de l’enseignement de la compréhension.

Comment interprétez-vous les résultats de l’enquête Pirls sur le niveau en lecture des élèves français ?

Nous sommes bien en dessous de la moyenne européenne. C’est dommage, d’autant plus qu’en France l’investissement dans l’éducation est tout à fait honorable au regard des autres pays européens. Donc il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas. Le groupe des élèves les plus performants a un tout petit peu augmenté par rapport à 2016 et cette remontée, on la doit aux filles. Mais ce qui est inquiétant, c’est que nous avons 28 % d’élèves qui ont un niveau faible, voire très faible. C’est énorme. C’est vrai que certains décodent mal, mais la difficulté vient surtout du fait que beaucoup ne comprennent pas bien ce qu’ils lisent. On distingue les compétences de haut niveau, qui consistent à interpréter et apprécier un texte, des compétences de bas niveau, qui se traduisent par la capacité à prélever des informations, notamment. Les élèves français savent répondre à des QCM mais sur les compétences de haut niveau, nous sommes nettement en dessous de la moyenne européenne.

Pourquoi ?

À mon avis, on manque encore de moments en classe pour apprendre à interpréter un texte, l’apprécier, donner son avis, comprendre l’intention de l’auteur, comment il joue avec son lecteur… On touche là au cœur du problème : la compréhension en tant que telle n’est pas suffisamment travaillée en France. Le Conseil scientifique de l’Éducation nationale met vraiment très fortement l’accent sur le décodage. Cela se traduit par des préconisations comme celle de travailler la fluence, que l’on définit ici comme la capacité à lire vite… en partant du principe qu’un élève qui décode correctement un texte le comprend. Ce n’est pas toujours vrai. Il existe de bons décodeurs qui ne saisissent pas le sens des phrases qu’ils ont sous les yeux. À l’école maternelle, les enseignants lisent des textes aux élèves et leur posent des questions dessus. Mais au CP, tout à coup, on va moins travailler sur les textes que les enfants ne sont pas capables de décoder eux-mêmes, pour se concentrer sur le sens de phrases trop simples pour permettre de progresser en compréhension. Et ensuite, on va considérer que les élèves comprennent ce qu’ils savent lire… Il faut continuer à mener l’excellent travail qui existe actuellement sur le décodage, mais ça ne doit pas se faire au détriment de la compréhension.

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Les effectifs des classes font-ils obstacle à ce travail ?

Je vous répondrai honnêtement : s’il y avait moins de monde dans les classes, c’est sûr que ce serait plus facile, mais je vois des tas d’enseignants qui travaillent la compréhension avec un groupe-classe au complet. Je crois que le vrai problème n’est pas là, mais dans le manque d’outils qu’on donne aux professeurs, qui se mettent en insécurité lors d’une séance sur la compréhension. Les enseignants sont de très bonne volonté, mais ne sont pas suffisamment formés. Il y a des gestes professionnels à acquérir pour accompagner l’ouverture d’un espace de réflexion. Et pas seulement autour de textes narratifs ! Nous ne sommes pas bons non plus sur la lecture de documents à caractère informatif, car on part du principe que l’élève doit juste être capable d’y prélever des renseignements. Mais, en fait, c’est toujours la même question : qu’est-ce qu’un texte nous dit et qu’est-ce qu’on en fait ? L’enjeu est de taille car, au fond, c’est aussi une question de plaisir. Mieux les élèves comprennent les textes, plus ils auront envie de les déchiffrer pour devenir des lecteurs autonomes.

Source: Télérama.fr