La Moldavie veut couper ses liens avec la Russie pour mieux se rapprocher de l’Occident
Manifestation à Chisinau, en Moldavie, le 9 mai 2023, pour le 78ᵉ anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. VLADISLAV CULIOMZA / REUTERS
La Moldavie coupe les derniers liens historiques qui la reliaient à la Russie. Le président du Parlement moldave, Igor Grosu, a ainsi annoncé, lundi 15 mai, l’intention de l’ex-république soviétique de se retirer de l’accord sur l’Assemblée interparlementaire de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, située aux limites de la zone d’influence russe et aux frontières orientales de l’Union européenne et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la Moldavie entend se rapprocher de l’Occident.
La Communauté des Etats indépendants, une coquille vide
Lors de la dislocation de l’empire soviétique, les forces centrifuges à l’œuvre en URSS n’ont pas épargné l’ancienne République socialiste soviétique moldave (RSSM) : la minorité russophone et prosoviétique de Transnistrie a fait sécession de la Moldavie et s’est autoproclamée indépendante, sans reconnaissance internationale.
La RSSM a déclaré son indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique en août 1991, mais a décidé de conserver un lien avec l’ancienne puissance tutélaire. En décembre 1991, elle devient membre de la Communauté des Etats indépendants (la CEI), organisation intergouvernementale composée de neuf des quinze anciennes républiques soviétiques, dont le but est de permettre un « divorce civilisé » plutôt qu’une rupture brutale lors de la dislocation de l’URSS.
Dans les faits, elle est rapidement apparue comme une coquille vide qui n’est en rien un ensemble politique intégré, comme peut l’être l’Union européenne, mais qui a surtout pour but de préserver l’influence de la Russie sur ses anciens satellites. Après plus de trente ans d’appartenance à cette organisation, la Moldavie décide à son tour de jeter l’éponge. Avant elle, la Géorgie et l’Ukraine avaient déjà rompu avec l’ancien grand frère soviétique : en 2009, après la guerre d’Ossétie du Sud, pour la première, en 2018 pour la seconde.
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« La CEI ne nous a pas aidés à résoudre le conflit transnistrien »
Dans une longue déclaration, le président du Parlement moldave dresse un réquisitoire cinglant contre la CEI : « Il est devenu tout à fait clair que la présence de la République de Moldavie dans les structures de la CEI ne nous a pas aidés pour la résolution du conflit transnistrien, ni pour le retrait de l’armée russe du territoire ». La Moldavie ne contrôle en effet que 88 % de son territoire, tandis que la région sécessionniste de Transnistrie, soutenue par la Russie, en contrôle 12 %.
Cartographie Le Monde. INFOGRAPHIE
Igor Grosu rappelle en outre le chantage énergétique de la Russie, qui a diminué de moitié ses livraisons en gaz à destination du pays après le début de l’invasion de l’Ukraine : « Etre dans la CEI ne nous a pas protégés du chantage énergétique en plein hiver, des menaces et des déclarations officielles hostiles à l’indépendance et à la souveraineté de la République de Moldavie. »
C’est surtout l’attitude belliqueuse de Moscou qui est mise en cause : « Après qu’un de ses Etats fondateurs, la Fédération de Russie, a attaqué de manière barbare un autre Etat fondateur, l’Ukraine, ayant occupé des territoires et tué ses citoyens, cette organisation ne peut plus être qualifiée de communauté », ajoute M. Grosu. « L’Ukraine a quitté cette organisation, ce qui nous sépare géographiquement des Etats membres de la CEI. La République de Moldavie est un pays indépendant (…). Nous avons la détermination et la responsabilité de nous éloigner de la source du mal, de cette source de pauvreté, de cette source de guerre et de destruction. Nous ne pouvons plus nous asseoir à la même table que l’Etat agresseur pour discuter avec lui », conclut le président du Parlement.
La Moldavie se fixe pour objectif de rejoindre l’UE d’ici à 2030
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la Moldavie met les bouchées doubles pour se rapprocher de l’Union européenne et s’interroge sur l’opportunité de rejoindre l’OTAN. La neutralité de la Moldavie est inscrite dans l’article 11 de sa Constitution, mais le pays a rejoint le Conseil de coopération nord-atlantique, qui est devenu le Conseil de partenariat euro-atlantique. Elle contribue à la force de maintien de la paix dirigée par l’OTAN au Kosovo, et Maia Sandu, la présidente moldave, s’interrogeait en janvier à Davos sur la capacité du pays à se défendre seul ou s’il devrait faire partie d’une alliance plus large.
En mars 2022, elle introduit une demande d’adhésion à l’UE et s’est vue accorder le statut de pays candidat en juin de la même année. En mars, Mme Sandu a fixé le calendrier, lors d’une session plénière du Parlement à Chisinau : « En 2030, la Moldavie doit être un membre de l’UE, saisir cette chance de faire partie de la famille européenne avec les mêmes droits. » « Combien de temps cela va nous prendre ? Tout dépend de nous », a-t-elle ajouté.
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Alors que le gouvernement peine à mettre en œuvre les réformes nécessaires après des années d’emprise de la Russie, la présidente a déclaré : « La Moldavie sort tout juste de captivité », avant de s’en prendre aux « traîtres, voleurs et oligarques ».
Confrontée à une « guerre hybride » de la Russie
Dans un entretien à l’Agence France-Presse, Anatolie Nosatîi, le ministre de la défense moldave, expliquait le 13 mars qu’« il n’existe pas à l’heure actuelle de danger militaire imminent contre la Moldavie, (…) mais il y a d’autres types de risques qui affectent la sécurité ». Il évoquait notamment « la désinformation, les tensions dans la société générées par la Russie », « un ensemble de provocations » destinées à semer le chaos et à « changer l’ordre politique ».
Le ministre renouvelait néanmoins les appels à démilitariser la Transnistrie. « Nous n’avons eu de cesse de demander l’évacuation inconditionnelle des forces russes qui sont illégalement stationnées sur le territoire moldave » ; la Russie y compte quelque 1 500 soldats et un important stock de munitions. Doté d’une armée de 6 500 soldats, avec des équipements vétustes datant de l’ère soviétique, la Moldavie doit « revoir l’ensemble du système de défense », ce qui requiert « du temps et des financements », a souligné M. Nosatiîi.
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La Gagaouzie, région prorusse
La pression monte aussi sur le territoire de la Gagaouzie, bordée au sud-est par l’Ukraine et à l’ouest par la Roumanie. Dans cette région turcophone qui bénéficie d’un statut d’autonomie, les prorusses se manifestent de plus en plus : la région a voté le 30 avril et le 14 mai pour départager huit prétendants au poste de baskan (gouverneur) de la région, tous hostiles au gouvernement central de Chisinau. Evgenia Gutul, la candidate du parti prorusse Shor, a remporté l’élection.
Ilan Shor, l’oligarque moldave qui dirige cette formation, a été condamné en son absence, le 14 avril, à quinze ans de prison pour une fraude bancaire constituant un préjudice d’un milliard de dollars. Soupçonné d’avoir trouvé refuge en Israël, son pays natal, il a été sanctionné en octobre 2022 par Washington pour corruption et ingérence au profit de la Russie. Il a mobilisé ses troupes au cours des derniers mois contre le gouvernement proeuropéen. Pour la présidente Maia Sandu, « le parti Shor a été investi d’une mission claire par le Kremlin et les services de sécurité russes : entraîner la Moldavie dans la guerre ».
Le département d’Etat américain reproche à Moscou de « chercher à affaiblir le gouvernement de Moldavie », avec pour objectif d’y installer un gouvernement acquis à sa cause. A Moscou, le ministère des affaires étrangères dénonce des affirmations « absolument infondées et sans preuves ».
Source: Le Monde