Cannes 2023 : " Le retour ", de Catherine Corsini ou les fractures d’un passé meurtri
SÉLECTION OFFICIELLE - COMPÉTITION
« Le Retour », de Catherine Corsini. CHAZ PRODUCTIONS
Beaucoup a été dit sur Le Retour, de Catherine Corsini, douzième long métrage de la réalisatrice et scénariste qui a failli ne pas se retrouver en compétition, à Cannes : d’abord mis en suspens, du fait de témoignages (anonymes) de harcèlements, qui auraient eu lieu pendant le tournage, ainsi que de gestes déplacés de deux membres de l’équipe sur deux jeunes actrices, le film a ensuite été intégré – pour l’heure, aucune plainte n’a été déposée.
La cinéaste, qui concourt pour la troisième fois pour la Palme d’or – après La répétition (2001) et La fracture (2021) – signe avec Le retour une œuvre de facture très contemporaine, prolongeant le geste de son précédent film : soit un événement servant de catalyseur à une narration qui ne cesse de se densifier, questionnant les classes sociales, l’orientation sexuelle, la diversité, tel un feu d’artifice un peu trop bien programmé, distillant fièrement ses couleurs dans le ciel. Une arrivée aux urgences dans La fracture, en pleine manif des gilets jaunes, servait de prétexte à explorer les failles au sein de la gauche, mais aussi la difficulté à se parler, à accepter le dissensus, comme si le pays devenait un archipel d’îlots irréconciliables. La fracture avait révélé Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante dans la vie, qui jouait à l’écran une infirmière débordée (Le Monde du 10 juillet 2021), un rôle qui lui a valu le César de la meilleure actrice dans un second rôle.
La comédienne est de retour en majesté et incarne ici Khedidja, une mère célibataire et assistante maternelle qui, le temps d’un été, revient en Corse quinze ans après avoir quitté l’île précipitamment. Mariée à un corse, avec qui elle a eu deux enfants, Khedidja ne se sentait pas réellement accueillie sur le territoire et a préféré partir, espérant donner à ses deux filles un avenir plus ouvert. De ce passé meurtri, Khedidja n’a pas dit grand-chose à Jessica (Suzy Bemba) ni à la cadette, Farah (Esther Gohourou), et le retour sur l’Île de beauté va faire l’effet d’un boomerang. Elles s’installent toutes les trois dans un camping près de la plage et la mère va garder les enfants d’un couple de Parisiens aisés – interprété par Denis Podalydès et Virginie Ledoyen. L’occasion d’un portrait grinçant de gens de gauche, bien pensants, mais capables d’avoir des mots malencontreux à l’égard d’une famille noire de milieu modeste.
Tissu familial « coupé » en deux
Denis Podalydès excelle dans sa manière d’exprimer l’inconscient de son personnage, lequel se rend coupable, sans même s’en rendre compte, d’un certain racisme ordinaire : il ne tarit pas d’éloges sur Jessica, bonne élève qui va intégrer Sciences Po, laquelle représente sans doute à ses yeux la jeune femme noire fréquentable. Mais il ne se soucie guère de sa sœur qui n’a pas de projet d’étude et déforme le prénom de la mère… La cinéaste originaire de Castifao (Haute-Corse) n’épargne pas non plus la Corse, avec ses petits chefs, le repli sur soi et le virilisme qui semblent être des valeurs sûres.
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Source: Le Monde