" La Vie chère. De l’Afrique à l’Europe " : le sentiment d’injustice à l’origine des émeutes

May 18, 2023
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Livre. A quel moment les populations descendent-elles dans la rue protester contre « la vie chère » ? Et comment naissent les révoltes dites spontanées ? C’est ce que s’est demandé le chercheur en science politique au CNRS Vincent Bonnecase dans son ouvrage La Vie chère. De l’Afrique à l’Europe en étudiant les « émeutes de la faim » (expression qu’il récuse) qui ont touché le continent africain en 2008. Analysant en détail les soulèvements qui ont eu lieu au Burkina Faso, en Egypte, en Tunisie, en Guinée, au Cameroun… mais aussi les contestations qui se sont répandues en Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Grèce, France…), il dresse un certain nombre de constantes : « Les mobilisations sont toujours à l’entrecroisement de populations hétéroclites » et naissent en dehors des organisations habituelles de contestation, adoptant des modalités différentes des actions conventionnelles comme la grève ou les manifestations, et obligent les organisations politiques ou syndicales à s’adapter – ce que l’on a pu constater, par exemple, en France lors de la mobilisation des « gilets jaunes ».

En fait, remarque Vincent Bonnecase, « aucune de ces mobilisations n’est réductible à la question du coût de la vie : elles s’ancrent toutes dans un spectre beaucoup plus large de griefs ». A vrai dire, « dans chaque pays, la vie chère s’est cumulée à d’autres raisons de la colère, parfois plus parlante pour les populations concernées ». En Egypte, tout est parti d’une grève dans le secteur textile ; en Tunisie, du bassin minier de Gafsa à l’occasion d’une campagne de recrutement dans un contexte de chômage endémique.

Des analyses précises de Vincent Bonnecase, il apparaît que les émeutes ne dépendent pas tant des conditions matérielles en tant que telles que du sentiment d’injustice qui se nourrit aussi bien du présent que de « la manière dont la justice sociale a été administrée par le passé ». Et qui, accolé à la colère ressentie, traduit une remise en question des compromis sociaux entre les classes dirigeantes et les classes populaires et révèlent certaines « attentes morales » à l’égard des autorités.

« Politique du ventre »

En réinscrivant les événements de 2008 dans des « historicités vernaculaires » qu’il appréhende sur le temps long, Vincent Bonnecase distingue les spécificités européennes et africaines. Il observe d’abord que « l’idéologie néolibérale, qui consiste à invisibiliser les responsabilités dans le fonctionnement des marchés (…), semble avoir nettement moins pris en Afrique que dans d’autres parties du monde ». Le mythe du marché comme entité autonome ne fonctionnant guère, la vie chère est perçue comme le résultat de décisions prises par des personnes et non par le marché.

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Source: Le Monde