Guerre en Ukraine: la chute imminente de Bakhmout aux mains de la milice Wagner
REPORTAGE - Les dernières unités ukrainiennes seraient sur le point de se retirer de la ville, pour se redéployer sur ses flancs. La milice russe pourrait s’y retrouver piégée.
Envoyé spécial à Kostiantynivka
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Progression inexorable de la milice Wagner à Bakhmout, mais percées localisées des forces adverses sur les flancs de la ville, tentatives d’infiltrations ukrainiennes sur la rive orientale du Dniepr, recrudescence des actions de sabotage sur le sol russe, comme dans les territoires occupés de Crimée et du Donbass, reprise des frappes de missiles contre Kiev et d’autres grandes villes: le tempo des opérations s’intensifie depuis plusieurs jours en Ukraine, alimentant les rumeurs de contre-offensive potentiellement imminente. Le 10 mars dernier, Volodymyr Zelensky affirmait que son armée avait encore besoin de temps avant de prendre l’initiative. Son prédécesseur, Petro Porochenko, estime pour sa part que le début de la contre-attaque n’est qu’une question de jours.
En lisière de Bakhmout, assiégée depuis dix mois par les forces russes, l’armée ukrainienne ne tiendrait plus qu’une vingtaine de bâtiments dévastés. «Là-bas, c’est la folie, raconte Oleksander Yabchanka, membre de la compagnie Gonor, qui a quitté la ville mardi soir après quarante-huit heures de combats ininterrompus. Les Russes savent qu’on est dans ces bâtiments, ils nous pilonnent sans arrêt, mais ça ne nous empêche pas d’en liquider un maximum.» Acculées, les forces ukrainiennes ne peuvent entrer et sortir qu’à la faveur de la nuit, à bord de véhicules blindés, et doivent ensuite marcher plusieurs centaines de mètres pour rejoindre leurs positions. «La chute de Bakhmout ne changerait pas grande chose», observe Oleksander, convaincu que sa défense a permis de fixer l’ennemi tout en entamant sérieusement ses effectifs. Selon les services de renseignement américains, plus de 20.000 soldats russes ont été tués à Bakhmout depuis décembre.
«Comme des rats dans un piège à souris»
Au cours des dix derniers jours, les forces ukrainiennes ont repris quelques kilomètres carrés sur les flancs nord et sud de la ville, profitant d’un possible affaiblissement du dispositif russe et laissant espérer l’amorce d’un encerclement futur. «Nous avons épuisé l’adversaire tout au long de l’hiver, se félicite le sergent “Barny”, de la 10e brigade d’infanterie, qui défend depuis plusieurs mois une ligne de tranchées située au nord-ouest de la ville. Ils ont eu faim, ils ont eu froid et ils ont perdu énormément d’hommes. La situation est mûre pour que nous commencions à regagner du terrain avec l’idée de couper leurs lignes logistiques.» Le général Oleksander Syrskyi, commandant des forces terrestres ukrainiennes, a d’ailleurs estimé, jeudi lors d’une visite près de la ligne de front, que «les hommes de Wagner sont entrés dans Bakhmout comme des rats dans un piège à souris.»
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Mais ce secteur du Donbass, lourdement fortifié, n’est pas nécessairement le plus propice à une percée spectaculaire. Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes ont amorcé une guerre des nerfs en «testant» les défenses russes sur de multiples zones du front, qui s’étend sur 1 000 kilomètres, notamment près de Kherson, au nord de Melitopol, dans la région de Vouhledar et aux abords de Koupiansk. L’armée ukrainienne a mis cette période à profit pour former une dizaine de nouvelles brigades, soit environ 40.000 hommes, dont certaines devraient être équipées des chars lourds promis fin janvier par les pays membres de l’Otan. «Nous attendons encore qu’une partie de ce matériel arrive sur le terrain», nuance Yehor Cherniev, vice-président de la commission de la Sécurité nationale, de la défense et du renseignement à la Rada.
«Appels à la prudence»
Ces dernières semaines, les autorités ukrainiennes ont cherché à tempérer les espoirs suscités par la perspective de la contre-offensive, estimant que celle-ci ne permettrait sans doute pas de libérer d’un coup les quelque 100 000 km2 de territoire (soit environ 18 % de la superficie totale du pays) occupés par la Russie. «Ces appels à la prudence font peut-être partie d’une guerre de l’information visant à tromper l’ennemi, analyse Yehor Cherniev, mais ils répondent aussi à une réalité complexe. Beaucoup de gens espèrent, en Ukraine comme à l’étranger, que cette contre-attaque va nous permettre de chasser l’occupant. Naturellement, nous comprenons qu’il est important de fournir à nos partenaires des arguments pour convaincre leurs opinions publiques de l’utilité de leur soutien. C’est que nous avons réussi à faire, à l’automne dernier, avec les contre-offensives dans les régions de Kharkiv et Kherson. Mais il faut aussi être conscient que les Russes ont mis à profit les derniers mois pour préparer des lignes de défense, creuser des tranchées et disposer des mines tout au long de la ligne de front. Reprendre la Crimée ne sera certainement pas une promenade de santé.»
Source: Le Figaro