Cannes 2023 : Wang Bing, précieux archiviste du modèle chinois

May 19, 2023
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Le cinéaste chinois Wang Bing, dont le film « Jeunesse (Le Printemps) » est présenté au 76ᵉ Festival de Cannes (Alpes-Maritimes), le 17 mai 2023. CHLOE SHARROCK/MYOP POUR « LE MONDE »

L’un des plus grands cinéastes et photographes contemporains, Wang Bing, né en 1967, à Xi’an, dans le nord de la Chine, présente à Cannes, en compétition, le fulgurant Jeunesse (Le Printemps) : ce documentaire a été tourné, de 2014 à 2019, dans de micro-ateliers de couture de la région de Shanghaï. Mais qui le sait dans son pays ? « Personne ne voit mes films en Chine, mis à part lors de quelques séances confidentielles qui peuvent être organisées. La grande majorité de mes documentaires ne reçoit pas le soutien de l’Etat chinois. Si j’arrive à tourner, c’est grâce à des pays étrangers », affirme le documentariste. L’entretien a lieu à deux pas de la Croisette, dans les locaux d’Unifrance, l’organisme chargé d’exporter le cinéma français – Jeunesse… a reçu de l’argent français, luxembourgeois et néerlandais.

Un autre documentaire de Wang Bing est sélectionné en séance spéciale, Man in Black, un surprenant portrait du compositeur chinois Wang Xilin. Agé de 85 ans, l’homme au visage d’Apache, pommettes saillantes, nez aquilin, a subi pendant la Révolution culturelle de graves persécutions (internements, torture…) et a quitté la Chine en 2019. A la demande du cinéaste, qui voulait montrer les stigmates sur son corps, Wang Xilin a accepté d’être filmé nu, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Il livre une performance en clair-obscur, qui le voit tour à tour déambuler, se mettre au piano, chanter, mimer des gestes de travaux forcés, se raconter par la parole.

Choc visuel

Par sa beauté et son refus de plaquer tout discours sur ses images, le cinéma de Wang Bing constitue une archive prodigieuse de la Chine, revisitant les traumatismes de l’histoire (Fengming. Chronique d’une femme chinoise, 2007), chroniquant l’éveil du pays aux lois du marché, avec son lot de perdants.

Son premier long-métrage, A l’Ouest des rails (2003) – d’une durée de neuf heures et onze minutes ! –, qui suivait la dislocation d’un gigantesque complexe industriel à Shenyang, dans le nord-est de la Chine, fut un choc visuel. Véritable corps filmant, le cinéaste s’est déplacé dans diverses régions de son pays, allant jusqu’à s’y installer, comme il l’a fait pour Jeunesse…, afin de s’imprégner de cette culture du sud-est de la Chine qui lui était étrangère – jusqu’aux dialectes. Des amis écrivains et poètes, qui connaissaient des patrons d’atelier ainsi que des employés, ont mis le cinéaste en contact avec eux. Il a fallu plusieurs mois au filmeur pour observer, faire connaissance, avant de pouvoir circuler librement dans ces espaces éclairés au néon.

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Source: Le Monde