Turquie : le dangereux virage à droite de l’opposition

May 20, 2023
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Kemal Kiliçdaroglu, candidat de la coalition d’opposition turque, à Ankara, le 19 mai 2023. ALP EREN KAYA/CHP/REUTERS

A droite toute ! Puisque le nationalisme est parvenu, au soir du premier tour des élections générales du 14 mai, à pousser la politique turque vers ses extrêmes, le candidat de la coalition d’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, a décidé de creuser son sillon à droite, bien plus à droite, en tout cas, que jusqu’ici, en vue du second tour de la présidentielle, prévu le 28 mai.

Distancé de près de cinq points, dimanche 14 mai, par le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, le chef de file du Parti républicain du peuple (CHP) a lancé son offensive, mercredi 17, en s’insurgeant, dans une vidéo, contre le nombre de réfugiés installés sur le territoire national turc : « Nous n’abandonnerons pas notre patrie à cette mentalité qui a introduit 10 millions de sans-papiers parmi nous », a-t-il clamé.

L’antienne n’est pas nouvelle. M. Kiliçdaroglu a souvent rappelé, ces dernières années, en abordant le sujet de la crise économique qui frappe la Turquie, qu’il souhaitait le départ des réfugiés (Syriens en particulier). Son ton, désormais, se distingue par sa véhémence et par le chiffre considérable qu’il avance, lequel correspond peu ou prou à celui qu’utilisent, dans leurs discours, les formations les plus ultranationalistes du pays.

Le candidat de la coalition dite « Alliance de la nation », ou « table des six », a poursuivi, le lendemain, d’une voix qu’on ne lui connaissait pas, de la tribune du quartier général du CHP, à Ankara, sous un gigantesque portrait d’Atatürk, fondateur de la République de Turquie : « Erdogan, n’est-ce pas toi qui t’es assis maintes fois à la table des négociations avec les organisations terroristes ? » Le propos se réfère au processus de paix (2003-2015) engagé par Ankara avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Il renvoie aussi aux critiques systématiques de son adversaire qui l’accuse d’être lié à cette formation interdite en Turquie pour obtenir le soutien du HDP, le parti de gauche prokurde.

Discussion avec une formation anti-immigration

Le président Erdogan a fait de la collaboration informelle de Kiliçdaroglu avec le HDP un enjeu-clé de sa campagne. Une accusation qui a porté ses fruits, selon de nombreux analystes, et coûté des voix au candidat de l’opposition, en particulier parmi les électeurs nationalistes. A la tribune, jeudi, le candidat a donc tenu à insister : « Je ne me suis jamais assis à une table avec des organisations terroristes et je ne le ferai jamais. »

Le lendemain, il a engagé des discussions avec Ümit Özdag, le chef d’une nouvelle ­formation d’extrême droite anti-immigration et antikurde, le Parti de la victoire (Zafer Partisi). Ce dernier est l’allié de Sinan Ogan, le candidat arrivé troisième de la présidentielle avec 5,3 % des voix, présenté depuis comme le « faiseur de rois » du deuxième tour, et dont les idées relèvent aussi de l’ultranationalisme. Au cours d’une déclaration commune, Kemal Kiliçdaroglu a mis de nouveau l’accent sur le nécessaire retour dans leurs pays des demandeurs d’asile et affirmé que ce problème pourrait être résolu rapidement en passant des accords de réadmission avec leurs nations d’origine. Les deux dirigeants ont laissé entendre que des tractations au sujet de futurs postes ministériels avaient également eu lieu. En cas d’accord, et de victoire, M. Ogan pourrait se voir offrir la tête d’un nouveau ministère des migrations, voire la vice-présidence.

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Source: Le Monde