Festival de Cannes 2023 : quand Robert De Niro adoubait Leonardo DiCaprio auprès de Martin Scorsese
Si les deux acteurs se sont donné la réplique dès 1993 dans "Blessures secrètes", il a fallu attendre trente ans pour que le trio travaille ensemble dans "Killers of the Flower Moon", film présenté samedi sur la Croisette.
Certes, il y a eu The Audition. Ce court-métrage*, réalisé en 2015 par Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Robert de Niro (et Brad Pitt), faisant la promotion de deux casinos à Macao et Manille, est officiellement le premier film dans lequel le réalisateur de Taxi Driver réunit ses deux acteurs fétiches. Néanmoins, les cinéphiles du monde entier attendent avec la plus grande impatience Killers of the Flower Moon, présenté samedi 20 mai hors compétition au Festival de Cannes.
Le dernier film de "Marty" marque sa dixième collaboration avec Robert De Niro et sa sixième avec Leonardo DiCaprio. Ce western, adapté du best-seller de l'auteur américain David Grann, se penche sur affaire de meurtres au sein du peuple amérindien Osage, devenu riche après la découverte de réserves de pétrole sur ses terres, dans l'Oklahoma des années 1920.
S'ils sont réunis pour la première fois dans un long-métrage du cinéaste new-yorkais, "Bob" et "Lo" se sont déjà donné la réplique. Dans un film que tout le monde, ou presque, a oublié : Blessures secrètes, qui met en scène les rapports entre un adolescent rebelle et son beau-père violent dans les années 1950. Réalisé par Michael Caton-Jones, sorti sur les écrans français en 1994, il constitue le véritable point de départ de la relation cinématographique du trio.
Quand les deux acteurs débarquent sur le plateau de Blessures secrètes, l'un est une immense star, lauréat de deux Oscars, quand l'autre n'est qu'un jeune adolescent passé par la publicité et qui termine la sitcom Quoi de neuf docteur ?. "Il était l'un des 400 garçons à auditionner", raconte Michael Caton-Jones dans Medium* en 2016. Ses essais impressionnent. "Quand j'ai montré la cassette à De Niro, il a dit : 'Oh, j'aime bien le garçon blond au milieu, il m'a donné des frissons'", retrace le réalisateur.
"Tu devrais travailler avec lui"
Leonardo DiCaprio garde pourtant un souvenir contrasté de sa première répétition face au monstre sacré, lors d'une scène où les deux personnages s'affrontent... à propos d'un pot de moutarde. Le jeune veut alors impressionner la star. "Je me disais que je devais faire quelque chose de... mémorable (...) De Niro était là à me demander : 'Est-ce qu'il est vide, est-ce qu'il est vide ?' Je me suis juste levé et j'ai renversé ma chaise, ou quelque chose comme ça, et je lui ai crié : 'Non, ce n'est pas vide', détaille-t-il en 2016 dans Deadline*.
"Bob a eu ce sourire narquois sur son visage, et a commencé à exploser lentement, me riant au nez. Et puis il a regardé tout le monde, et toute la salle s'est mise à rire." Leonardo DiCaprio, acteur à Deadline
Leonardo DiCaprio pense avoir raté sa chance. C'est tout l'inverse. Bluffé par son camarade de jeu, Robert De Niro en parle à son ami Martin Scorsese. "Il m'a dit : 'Je travaille avec ce jeune garçon. Il est vraiment bon. Tu devrais travailler avec lui'. C'était la première fois que je l'entendais me recommander quelqu'un", explique le réalisateur dans un article publié mardi par Deadline*.
A la même époque, le talent de DiCaprio bluffe d'ailleurs une autre légende du cinéma américain, cette fois à son insu. Marlon Brando vient alors de voir le comédien dans Gilbert Grape, où il joue un handicapé aux côtés de Johnny Depp, rôle qui lui a valu sa première nomination aux Oscars. La légende hollywoodienne en parle à Baz Luhrmann, qui prépare Roméo+Juliette, avec DiCaprio dans le rôle de l'amoureux shakespearien. Or, pour Brando, choisir "un jeune homme qui n'est pas totalement maître de ses facultés mentales" n'est pas forcément une bonne idée. Ainsi, par sa performance, "Leonardo était parvenu à lui faire croire qu'il n'était vraiment pas tout à fait équilibré", relate le cinéaste australien en 2007 au magazine SFGate*.
Une "coquille vide" à remplir
En vue du tournage de Blessures secrètes, Leonardo DiCaprio se lance dans une session de rattrapage des grands classiques américains, avant de se frotter à celui qu'il décrira plus tard, dans une interview à la Screen Actors Guild*, comme son "acteur préféré". "Je suis venu sur ce plateau après avoir vu tout ce que Martin Scorsese et Robert De Niro avaient fait", dit-il dans Deadline. Une "leçon d'histoire de cinéma" qu'il s'inflige de "manière obsessionnelle" dans sa chambre. Une manière de remplir la "coquille vide" qu'il était au moment du tournage de Blessures secrètes, assure-t-il en 2010 dans L'Express (article pour les abonnés).
Robert de Niro se charge de la suite de son éducation, en lui faisant "regarder tous les grands films qu'[il] pouvai[t] voir à [son] âge", poursuit-il dans l'hebdomadaire. A son contact, il apprend aussi son métier. "On n'imagine même pas ce que cela doit donner. Je vois mal comment la méthode Actor's Studio de Robert De Niro n'a pas pu l'influencer", étaye Marie-Pierre Huillet, spécialiste du cinéma américain à l'université de Toulouse.
Leonardo DiCaprio se souvient notamment de l'adolescent turbulent qu'il pouvait être et de l'aura de son partenaire. "Je n'avais aucune idée de comment me conduire sur un plateau. Je ne comprenais pas quand… me taire", sourit-il dans Deadline. Il confesse que le réalisateur Michael Caton-Jones était obligé de le calmer quand Robert De Niro préparait ses scènes.
"Tout le monde plaisantait constamment jusqu'à ce que De Niro arrive sur le plateau. Je me disais : 'Qu'est-ce qu'il se passe ici ?' Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi tout le monde était si sérieux." Leonardo DiCaprio dans une interview à la Screen Actors Guild en 2014
Après Blessures secrètes, l'ascension de Leonardo DiCaprio continue avec Roméo+Juliette, puis il devient une star grâce à Titanic. Hollywood est à ses pieds, George Lucas lui propose le rôle d'Anakin Skywalker dans la deuxième trilogie de la saga Star Wars, qu'il refuse. Il s'oriente vers La Plage de Danny Boyle, mais le tournant a lieu au moment de sa rencontre avec Martin Scorsese pour Gangs of New York, au début de l'an 2000. "Construire une carrière est un vrai travail, il a tâtonné au début, c'est normal, détaille Marie-Pierre Huillet. Il était un peu prisonnier de sa belle gueule. Il a eu la clairvoyance de choisir des films qui le sortaient de sa zone de confort. Il a construit sa trajectoire avec une certaine intelligence de choix." L'acteur confiait du reste en 2013 dans Le Point (article pour les abonnés) que son père lui avait conseillé de chercher à tourner sous la direction de Martin Scorsese, "maintenant qu'[il pouvait] travailler avec les gens qui [l]'intéress[ai]ent".
Entre "Bob" et "Leo", deux occasions manquées
Le réalisateur italo-américain a d'ailleurs tenté pour son film historique sur la fondation de New York d'associer Leonardo DiCaprio et Robert De Niro. Ce dernier avait décliné la proposition, souligne Martin Scorsese dans Deadline. Une autre tentative a échoué quelques années plus tard, tandis que le cinéaste préparait Les Infiltrés. Il y parvient finalement à 80 ans. "Il fait partie de ces réalisateurs vieillissants, 'icônisés', parfois fantasmés. C'est une manière pour lui de boucler la boucle, observe Marie-Pierre Huillet. Mais c'est aussi un immense coup de communication. Ça rend le film forcément 'bankable' et attirant."
Trente ans après le tournage de Blessures secrètes, Leonardo DiCaprio savoure, lui aussi dans Deadline, la chance de pouvoir retrouver ses "héros cinématographiques" : "Travailler avec [Robert De Niro], observer son professionnalisme et la façon dont il a créé son personnage a été l'une des expériences les plus influentes de ma vie et de ma carrière. Cela m'a amené à faire tous ces films avec Marty et maintenant (...) nous arrivons tous à travailler ensemble et à collaborer, c'est une expérience tellement incroyable et spéciale pour moi."
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
Source: franceinfo