Frédéric Beigbeder, invité partout pour dire qu’il ne peut plus rien dire, a-t-il inventé le " boomerketing " ?
Frédéric Beigbeder sur le plateau de l’émission « C à vous », le 13 avril 2023. CAPTURE D’ÉCRAN FRANCE TÉLÉVISIONS
On sait que Frédéric Beigbeder est écrivain, on oublie bien souvent qu’il fut aussi publicitaire, notamment chez Young & Rubicam. Il en a tiré le roman 99 francs (Grasset et Fasquelle, 2000), qui lui a valu, à l’époque, d’être licencié. Il en a aussi conservé une science presque animale du contre-pied malin, de la subversion des codes. Qu’on l’aime ou pas, il faut reconnaître à Frédéric Beigbeder ce talent : chacun de ses livres vient trouver sa place, telle une boîte de corned-beef parfaitement conceptualisée, sur les rayonnages de nos pensées, offrant une déclinaison pop et légèrement grimaçante des préoccupations en vogue.
Comme on se trouve à mi-chemin entre l’œuvre et le produit, chez Beigbeder, le livre finit toujours par vivre sur un pied d’égalité avec la tournée de promo, sa complétion oralisée. Le 5 avril sortait chez Albin Michel Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé (176 pages, 19,90 euros), écrit par un auteur qui se présente comme « quasiment de l’Académie française ». Le propos ? A 57 ans, Beigbeder, barbe poivre et sel, s’aperçoit qu’il est désormais plus en phase avec le conformisme de la tradition qu’avec la transgression, qu’il préfère la franche camaraderie de la Grande Muette au collectivisme mortifère des soirées coke, le silence de la retraite monacale au bruit des réseaux sociaux…
Avec une certaine délectation, l’écrivain détaille sa mue non pas en cloporte kafkaïen, mais en vieux con. Son génie est d’introduire, dans l’équation de cet autoportrait, une dose de provocation habile, qui va venir faire dérailler les grilles de lecture autorisées. Le premier chapitre de son livre s’intitule « Moi aussi, je suis une victime ». En 2018, raconte-t-il, des gens se sont nuitamment introduits dans sa propriété du Pays basque pour venir taguer ses murs et sa voiture, pendant que ses enfants dormaient : « Ici vit un violeur », était-il écrit à la peinture rose. L’auteur suppose qu’on lui reproche d’avoir signé le « Manifeste des 343 salauds », publié dans Causeur pour dénoncer la pénalisation des clients de prostitués.
Quoi, se dit le camp d’en face, un homme blanc, bourgeois, catho, obsédé sexuel, incarnation paradigmatique de la figure patriarcale, qui se permet d’adopter une posture victimaire ? Préparez le petit bois pour le bûcher ! Vos états de services moraux comportent tout de même un certain nombre de taches, lui assène-t-on alors sur les plateaux. En bon pubard, Beigbeder sait comment jouer des réflexes pavloviens de ses contemporains. Il est l’inventeur du « boomerketing », un art du marketing qui consiste à surinvestir le costume infamant de vieux réac que l’on veut vous faire porter, pour retourner le stigmate à son avantage.
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Source: Le Monde