Justine Triet, anatomie d’une bande de fidèles

May 21, 2023
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Portrait« La Bataille de Solférino », « Victoria », « Sibyl » : en trois longs-métrages, la réalisatrice a su s’imposer. Dès ses débuts, elle s’est entourée d’une troupe où règne, du scénario au montage, un dialogue permanent, et qu’elle n’hésite pas à pousser dans ses retranchements. Comme pour « Anatomie d’une chute », une chronique judiciaire, en compétition au Festival de Cannes.

« Plus ample », « plus ambitieux ». Les collaborateurs de Justine Triet ne manquent pas de louanges sur Anatomie d’une chute, son quatrième long-métrage, présenté en compétition à Cannes et qui sortira en salle le 23 août. Le film offre une plongée dans une cour d’assises où une femme est accusée d’avoir tué son compagnon. Une étrangère en France dont le jeune fils, malvoyant, est présent dans l’enceinte du tribunal.

Après La Bataille de Solférino (2013), fiction au bord de la crise de nerfs tournée pendant les scènes de liesse lors du second tour de l’élection présidentielle de 2012 ; Victoria (2016), comédie dramatique autour d’une avocate célibataire ; et Sibyl (2019), thriller psychologique kaléidoscopique sur un deuil amoureux, Anatomie d’une chute revisite le film de procès.

« Justine aime déplacer les formes classiques vers de nouveaux prototypes : elle a beau adresser son cinéma à un large public, avec un intérêt pour le romanesque, elle reste une réalisatrice expérimentale », analyse le cinéaste Arthur Harari (Onoda, 2021), son compagnon, coscénariste d’Anatomie d’une chute.

Le cinéaste Arthur Harari, chez lui, à Paris, le 19 avril 2023. VINCENT DESAILLY POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Si les films de Justine Triet, 44 ans, ont été des succès – notamment Victoria, avec 640 000 entrées – c’est donc d’un cinéma d’auteur pointu que vient la réalisatrice. Et notamment de l’écurie du producteur Emmanuel Chaumet, défenseur de talents iconoclastes, qui a aussi fait éclore Benoît Forgeard (Gaz de France, en 2015, Yves, en 2019), Antonin Peretjatko (La Loi de la jungle, en 2016, La Pièce rapportée, en 2020) ou Sophie Letourneur (Enorme en 2019, Voyages en Italie, en 2023).

« Disséquer un couple »

Le cinéma de Justine Triet s’arrête sur cette façon approximative voire pas toujours honnête dont chacun parle des autres. Une journaliste à cran essaie de rendre compte d’un événement dans La Bataille de Solférino ; l’ex-mari d’une avocate en raconte les travers sur un blog pseudo-littéraire dans Victoria ; une psychanalyste pille allègrement la vie d’une actrice pour la recomposer dans un roman dans Sibyl ; une femme se retrouve décrite jusqu’au moindre détail devant la justice au cours de plaidoiries réductrices dans Anatomie d’une chute…

« Ce qui m’obsède est la judiciarisation de l’intime, cet endroit où l’on te raconte à ta place, c’est-à-dire le début même de la fiction », explique la cinéaste. Et ce, sans condamnation nette ou pensée toute faite. « Sa mise en scène interroge ­toujours mais en laissant au spectateur de l’espace pour circuler. Elle n’impose pas un regard, une morale ou une idée : c’est son élégance », salue son monteur, Laurent Sénéchal.

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Source: Le Monde