Cannes 2023 : Todd Haynes dissèque le couple au scalpel avec " May December "
Elizabeth Berry (Natalie Portman) et Gracie Atherton-Yoo (Julianne Moore), dans « May December », de Todd Haynes. MAY DECEMBER PRODUCTIONS 2022 LLC
SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION
Todd Haynes, 62 ans, présente un profil qui contraste avec l’Amérique qui monte. Homosexuel, demi-juif, cinéaste farouchement indépendant, ami et producteur de Kelly Reichardt. Autant de caractéristiques qui l’éloignent de l’arrière-pays trumpien, ceci pour ne rien dire de son cinéma, cruel et mélancolique, ourlé de portraits de femmes (Loin du paradis en 2002 ; Carol en 2015), traversé par un amour structurant du mélodrame, et accordant une part cruciale à la musique dans son inspiration.
May December, son nouveau film au titre tellement allénien, semble ainsi scandé par la partition retravaillée et itérative du Messager, de Joseph Losey, signée en son temps par Michel Legrand. Splendide musique, aux accords poignants et inoubliables, mise au service d’un film non moins magnifique (Palme d’or à Cannes en 1971) dans lequel un garçon pauvre de la ville est invité par un camarade de classe dans le château familial, où, instrumentalisé par les adultes, il va servir de messager clandestin entre la fille de la maisonnée, fiancée à un homme de sa condition, et le viril métayer du domaine.
Enigme du passé, scandale et mésalliance, mensonge et blessure, fossé de classe, informent, aussi bien, May December, présenté en compétition samedi 20 mai. A Savannah (Géorgie), dans une superbe maison dominant le fleuve, vivent Gracie (Julianne Moore), bourgeoise fragile entourée de setters irlandais, et Joe (Charles Melton), un Américano-Coréen taiseux et collectionneur de papillons qui lui rend la moitié de son âge.
Malaise enfoui
Dans la perspective d’un film consacré à la vie de Gracie, son actrice, Elizabeth (Natalie Portman), arrive en ville pour, avec son accord, y étudier son modèle. A mesure que son travail progresse, l’on comprend qu’un lourd passé est la cause du tournage de ce film. Gracie, alors déjà mariée et mère de famille, a rencontré Joe, doux colosse, dès son jeune âge, alors qu’il était en 5e, en est tombé folle amoureuse, et a quitté son mari pour, bientôt, fonder une nouvelle famille. Les tabloïds s’étaient emparés, à l’époque, de l’affaire, plongeant la ville et le jeune couple dans le tumulte et le scandale.
Alors que les deux enfants qu’ils ont eus en commun s’apprêtent à quitter la maison familiale pour poursuivre leurs études, Gracie et Joe s’offrent à la présence d’Elizabeth au moment où ce départ les fragilise et les fait, sans doute, se retourner sur une histoire douloureuse à laquelle ils n’ont plus voulu penser. Joe y apparaît comme un grand enfant qui n’a pas eu le temps de mûrir, dominé par une épouse qui passe ses journées à vendre ses pâtisseries et joue plus souvent qu’à son tour l’instabilité et la fragilité psychique.
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Source: Le Monde