Cannes 2023 : on a vu Kubi, le film de samouraï sanglant et délirant de Kitano

May 24, 2023
294 views

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2023 du Festival de Cannes. Entre cinéastes confirmés et jeunes talents prometteurs, la centaine de films sélectionnés a de quoi donner le tournis. Après l’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, c’est l’heure de s'intéresser à un autre film hors-compétition : Kubi. Présenté dans la prestigieuse sélection Cannes Première, le film de samouraï de Takeshi Kitano jongle habilement entre un spectacle sanglant et un humour noir délirant.

De quoi ça parle ? Au 16e siècle, le Japon est tourmenté par les conflits qui opposent des gouverneurs de province rivaux. Après une rébellion, plusieurs vassaux se disputent la succession du seigneur Oda Nubanaga dans une chasse à l'homme sanguinaire. Reste à savoir qui gardera sa tête sur ses épaules jusqu'au bout... pour pouvoir prétendre au trône tant convoité.

C’était comment ? Après un bref panneau d'introduction expliquant qu'une guerre de trois ans vient de se terminer, la caméra progresse sur une rivière jonchée de cadavres. Puis, elle s'arrête sur un corps, décapité, et s’approche au plus près du cou ensanglanté d'où surgissent des petits crabes en ayant pris possession.

En quelques secondes, le spectateur est rassuré : le film de samouraï de Takeshi Kitano sera bien sanglant et sauvage. Et en effet, le cinéaste de 76 ans, pour son grand retour au cinéma après six ans d'absence (et le très moyen Outrage : Coda) ne se refuse aucun geyser de sang (épée tranchante dans la bouche, décapitation en chaîne...) durant les 2h10 de son Kubi.

Ragoûtant

Il faut dire que le monsieur travaille sur ce film depuis 1993. Alors que Takeshi Kitano adapte ici son propre bouquin éponyme (sorti en 2019), l'immense Akira Kurosawa avait même affirmé dès l'annonce du projet dans les années 90 que si Kitano réalisait ce film, ce serait "un chef-d'oeuvre à égalité avec son Les Sept Samouraïs". Autant dire qu'après trente ans d'obstacle, patience et déconvenues, le cinéaste japonais n'allait pas faire les choses à moitié.

Et en effet, Kubi est un bon film de samouraï dont la densité n'a rien à envier au chef-d'oeuvre de Kurosawa. Bien sûr, le film n'est assurément pas aussi limpide que son modèle. Son récit repose sur un (peu trop) de personnages pour qu'on ne soit pas légèrement perdu, et ce d'autant plus que l'écriture est franchement bancale (on ne comprend pas tout tellement c'est le bordel, il faut être honnête).

Cela dit, il dépeint en revanche avec brio toute la folie inhérente de la quête de pouvoir des personnages, entre jeux de manipulations, sordides trahisons et romances interdites. Ainsi, les coups bas se succèdent au milieu des batailles épiques dans les plaines pluvieuses, duels surprise en pleine forêt, villages embrasés ou harakiri de fortune dans un Minka (la direction artistique de l'ensemble est vraiment exceptionnelle).

Quand tu perds la tête

Toutefois, le film est bien plus qu'un film de samouraï sérieux et violent. En conférence de presse en avril 2023 à Tokyo, Takeshi Kitano expliquait avoir voulu s'éloigner des fresques historiques habituelles en évitant de raconter des success-stories classiques et, au contraire, en se focalisant sur "le sale travail" derrière ces conquêtes et guerres pour le règne. Et c'est ce qui fait la grande force de Kubi, jonglant donc entre des moments épiques, un drame politique, un homo-érotisme inattendu et des situations complètement ubuesques.

Qu'il filme des doublures sacrifiées à tire-larigot, observe ses personnages se chamailler ou éteigne leur espoir soudainement comme pour les martyriser, Takeshi Kitano se moque avec brio des codes du genre. Car s'il raconte cette époque où l'on "jouait avec la vie des hommes pour son simple divertissement", c'est pour mieux rendre compte de l'absurdité de certains des combats menés et des moyens qui y étaient déployés. Une impertinence jubilatoire qui atteint son apogée lors de l'ultime phrase du film, petit bonbon sarcastique absolument savoureux, preuve que Takeshi Kitano en a encore sous la pédale.

Et ça sort quand ? Le film n'a pas encore de date de sortie en France, ni même de distributeur, mais on croise les doigts pour qu'il finisse sur grand écran prochainement.

Source: EcranLarge