Cannes 2023 : " L’Enlèvement ", les martyrs de Marco Bellocchio
L’Enlèvement ***
de Marco Bellocchio
Film italien, 2 h 05
À 83 ans, Marco Bellocchio est avec Ken Loach l’un des vétérans de la compétition cannoise. Le cinéaste italien n’a pas pour autant perdu de sa vigueur avec cet Enlèvement, « Rapito » en italien, dont l’ampleur baroque et les figures christiques qui le parsèment ne feront sans doute pas l’unanimité sur la Croisette. Et pourtant après Le Traître, film à la facture plus classique qui traitait de la mafia, le réalisateur, comme dans sa récente série Esterno notte, revient à l’essence même de son cinéma : l’Italie, la famille, la politique et les martyrs que l’on est prêt à sacrifier sur l’autel des idéologies (ou du dogme).
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On peut ainsi quasiment établir une filiation entre le rapt d’Aldo Moro, patron de la démocratie chrétienne assassiné par les Brigades rouges, et celui de cet enfant de 6 ans, au cœur de son nouveau film. Le fait est là encore historique : le petit Edgardo Mortara, sixième enfant d’une famille juive de Bologne, a été enlevé à ses parents en 1857 sur ordre du tribunal du Saint Office, au motif qu’il aurait été baptisé en secret par sa nourrice. Le droit canonique qui prévalait à l’époque du « pape-roi » imposait alors que tout enfant baptisé reçoive une éducation catholique.
Une imagerie baroque
Sur fond de processus d’unification de l’Italie et de remise en question du pouvoir temporel du pape, les efforts de la famille d’Edgardo pour récupérer leur enfant vont se heurter à la position inflexible de Pie IX. «L’histoire m’intéresse particulièrement parce qu’elle me permet, avant tout, de mettre en scène un crime commis au nom d’un principe absolu », a expliqué le cinéaste. Le crime, c’est le destin d’un enfant brisé, séparé de sa famille, contraint à renier sa foi et sa culture et qui restera toute sa vie déchirée entre son amour filial et sa loyauté à sa nouvelle religion.
De ce point de vue, tout le début du film est une splendeur. Dans le clair-obscur d’intérieurs éclairés à la bougie, la chaleur du foyer des Mortara rayonne et rend plus douloureuse encore la séparation entre Edgardo et sa famille. La froideur de la Maison des catéchumènes où il est envoyé à Rome, celle d’un Vatican au pouvoir déclinant lui succède.
Et la mise en scène de Bellocchio se fait de plus en plus grandiloquente et sonore à mesure que le drame historique et personnel se noue. Avec cette part de lyrisme et de symbolisme propre au réalisateur, même si elle reste ici relativement discrète. Les caricatures raillant le pape s’animent sous ses yeux, ou se transforment en cauchemars nocturnes, un Christ libéré de ses clous descend de la Croix, ou encore Pie IX s’écroulant littéralement au moment où l’armée nationale entre dans Rome. De toute cette imagerie baroque, renforcée par l’omniprésence des symboles religieux, le film tire son caractère oppressant. Et fait de Marco Bellocchio un maître du genre.
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Cannes, jour 9
Au programme du jour, le deuxième film français de la compétition et le retour de Nanni Moretti sur une trottinette :
La Passion de Dodin Bouffant, de Tran Anh Hung, est l’adaptation par le réalisateur de L’Odeur de la papaye verte d’un classique de la littérature gastronomique paru en 1924 sur la passion partagée pour la cuisine entre un fin gourmet et sa cuisinière Eugénie, avec Benoît Magimel et Juliette Binoche.
Vers un avenir radieux, où Nanni Moretti signe, deux ans après Tre piani, le retour à une comédie autobiographique dans laquelle il relate les déboires d’un réalisateur en pleine crise familiale et professionnelle.
Source: La Croix