Planqués or : en Israël, l’exil parfois amer des escrocs du carbone
ReportageUne trentaine de Franco-Israéliens, condamnés en France pour leur participation en 2008-2009 à une gigantesque fraude à la TVA sur le carbone, profitent de la lourdeur des procédures d’extradition pour vivre en Israël. « Le Monde » a enquêté sur cette communauté où l’argent, a priori, ne fait pas le bonheur.
On pourrait croire que c’est un type qui promène son chien, mais c’est un roi de l’escroquerie en cavale. Au milieu des bikinis et des joueurs de raquettes, dans les effluves d’aubergines grillées et de crème solaire, Cyril Astruc arpente la plage de Herzliya (au nord de Tel-Aviv, Israël), silhouette fine, chemise à fleurs, peau tannée et lunettes noires, malinois au bout de la laisse, dix-neuf années de prison et trois mandats d’arrêt internationaux au-dessus de la tête. S’il posait un pied dans l’Hexagone, cet homme né en France il y a cinquante ans serait « coffré » instantanément. Mais pour l’instant, il a les deux dans le sable israélien, et il promène son chien.
A Herziliya (Israël), où habite Fabrice Touil, le 17 mai 2023. TANYA HABJOUQA / NOOR POUR « LE MONDE »
Le personnage est courtois, d’un abord facile, mais il décline notre demande d’entretien – « Vous comprenez que, dans ma situation, la discrétion est ma meilleure alliée » – et confie, avant de prendre congé, que les chances de le voir rentrer en France de son plein gré sont assez minces : « Je n’ai rien contre l’Etat français, je n’ai rien contre la justice française, simplement c’est compliqué de se rendre pour aller faire dix-neuf ans [de prison], je pense que vous comprenez. Dix-neuf ans, c’est quand même beaucoup. A ce prix-là, j’aurais pu commettre un assassinat. »
Cyril Astruc n’a tué personne ; la justice française se contente de lui reprocher un rôle majeur dans l’« escroquerie du siècle » : la fraude à la TVA sur le carbone qui, en quelques mois de 2008 et 2009, a permis à une poignée de carambouilleurs particulièrement dégourdis de délester le Trésor public de 1,6 milliard d’euros. L’entourloupe consistait à monter des sociétés fictives pour acheter, hors taxe et à l’étranger, des quotas de carbone, ou droits à polluer, puis à les revendre à une société française à un prix incluant la TVA, sans reverser celle-ci à l’Etat. Cyril Astruc a été jugé dans deux volets de cette arnaque, pour un montant de TVA détourné de 170 millions d’euros. Il a pris dix ans dans l’un, six dans l’autre – et trois ans dans un troisième dossier de fraude à la TVA, sur des téléphones portables cette fois – sans comparaître à ses procès.
Installé en Israël depuis les années 2000, il s’était bien rendu en France en 2014 sur convocation d’un juge d’instruction, avec l’intention de s’expliquer. Placé en détention provisoire malgré ses explications, libéré sous caution – 4 millions d’euros –, il avait assisté au premier jour de son premier procès, en mai 2017, avant de s’éclipser. Depuis, il n’a plus quitté Herzliya et sa villa avec piscine, terrain de tennis, gardien à l’entrée, salle de cinéma au sous-sol et ascenseur intérieur.
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Source: Le Monde