Cannes 2023 : le retour de Catherine Breillat, cinéaste de la chair et des désirs

May 24, 2023
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Anne (Léa Drucker), Théo (Samuel Kircher, en arrière-plan) et Pierre (Olivier Rabourdin) dans « L’Eté dernier », de Catherine Breillat. PYRAMIDE DISTRIBUTION

On ne croyait plus imaginable un retour de Catherine Breillat – immense cinéaste française, tempérament et intelligence de feu – sur le devant de la scène. Victime en 2005 d’un accident vasculaire cérébral qui la laisse hémiplégique, elle est victime, durant sa convalescence, de l’escroc Christophe Rocancourt, qui lui extorque plusieurs centaines de milliers d’euros. De cette double fatalité, de cette solitude aussi sans doute, elle tire un livre en 2009, Abus de faiblesse, puis, en 2014, un film du même nom. La part étant faite au romanesque, Kool Shen y campe Rocancourt, Isabelle Huppert la cinéaste. On y retrouve la griffe Breillat, son courage, sa terrassante lucidité.

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Mais les dix années qui suivent nous laissent sans nouvelles d’elle, on la croit perdue. C’était compter sans la survitalité de cette femme, âgée aujourd’hui de 74 ans, qui revient avec L’Eté dernier, un film aussi brillant et coupant que le diamant, son plus beau peut-être. Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, ne s’y est pas trompé, qui l’a sélectionné en compétition, quelque chose laissant penser que le président du jury, le barbare suédois Ruben Östlund, pourrait apprécier l’inconvenante sauvagerie de sa consœur.

Car il vaut mieux l’annoncer, avec L’Eté dernier, présenté sur la Croisette jeudi 25 mai, titre trompeusement climatique, c’est le retour des enfers sur terre. Aux opérations de cette remise en mouvement, le producteur Saïd Ben Saïd, dont on n’ignore plus que les choix illustrent un goût de cinéma (David Cronenberg, Brian De Palma, Paul Verhoeven…) plutôt éloigné de l’hygiénisme contemporain. Passé maître dans le reboot de génies suspendus du septième art, c’est lui qui découvre le film danois Dronningen, réalisé en 2019 par la réalisatrice May el-Toukhy, et propose illico à Catherine Breillat d’en faire un remake. Riche idée.

La copie, qui culbute le modèle, met en scène une avocate spécialisée dans les affaires d’agressions sexuelles, laquelle va vivre une inavouable passion avec son beau-fils, bel adolescent révolté, alors que son père, après plusieurs années d’éloignement, vient de l’accueillir sous son toit. Marie Drucker, Olivier Rabourdin, Samuel Kircher, Clotilde Courau – la première transfigurée, « hitchcockienne », souligne Breillat, tous admirables – font charnellement tourner cette machine désirante.

Transgression de l’interdit

On peut évidemment compter sur Catherine Breillat pour raviver le feu en feignant de l’éteindre : « C’est un pseudo-inceste qui arrive presque par inadvertance. Ça ne serait pas grave si le jeune homme ne tombait pas amoureux. » Tenants du confort moral, passez votre chemin. Voici revenue la torche qui met en lumière – pour ne pas dire qu’elle les attise – les désirs sombres qui nous taraudent et la fatale aliénation qui les frappe. Autant dire que Breillat travaille sur une zone peu fréquentée par le cinéma français, lequel, fidèle à la tradition nationale, ne conçoit le désir qu’articulé aux stratégies de la raison et du langage (conquête, ruse, faux-semblant).

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Source: Le Monde