Ancien officier du FSB, néonazis… Qui sont les " saboteurs " derrière l’incursion armée en Russie ?

May 24, 2023
155 views

C’est un affront à la Russie de Vladimir Poutine. Lundi 22 mai 2023, deux groupes armés ont pénétré la région russe de Belgorod depuis l’Ukraine, faisant plusieurs blessés et un mort civil, selon le gouverneur de l’oblast. Les autorités ont activé le « régime antiterroriste », une première depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Derrière ce fait d’armes, on trouve essentiellement des Russes, regroupés dans deux organisations, le Corps des volontaires russes (RDK) et la Légion « Liberté de la Russie ». Malgré leurs divergences idéologiques importantes, elles partagent une même mission : « Libérer la Russie du régime de Poutine. »

Une Légion commandée par un ancien député russe

La Légion « Liberté de Russie » a été officiellement créée en mars 2022. Sur sa chaîne Telegram, créée le 10 mars, elle livrait un long plaidoyer sur sa raison d’être : « Nous sommes conscients qu’un régime dictatorial, se cachant derrière les intérêts de la Russie et de notre peuple, peut plonger le monde entier dans une guerre nucléaire », est-il écrit notamment. Elle appelait les soldats russes à rejoindre la lutte armée contre le « criminel de guerre Poutine ». Et elle se présentait comme composée de déserteurs russes « qui ont refusé d’exécuter des ordres illégaux », à l’image d’Igor Volobuyev, ancien vice-président de Gazprombank, qui a quitté la Russie lors du déclenchement de l’invasion.

Son emblème est un drapeau à trois bandes horizontales, flanqué d’un poing fermé. Elle est classée « terroriste » par la Russie.

Son chef politique est l’ancien député russe Ilia Ponomariov, classé à gauche. Il avait été le seul élu de la Douma à voter contre l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014, avant de s’installer en Ukraine.

Des membres de la Légion avec Mark Zakharovich Feygin, un ancien avocat russe et militant des droits de l’homme qui a défendu le groupe Pussy Riot notamment. | TELEGRAM/RDK Voir en plein écran Des membres de la Légion avec Mark Zakharovich Feygin, un ancien avocat russe et militant des droits de l’homme qui a défendu le groupe Pussy Riot notamment. | TELEGRAM/RDK

Un autre dirigeant, qui se fait appeler « Caesar », est apparu sur la scène médiatique à la fin de l’année 2022, avec une interview accordée à plusieurs médias internationaux. Son passé est plus trouble : il dit avoir travaillé comme kiné à Saint-Pétersbourg, l’ancienne capitale et deuxième ville de la Russie. Il a été associé au groupuscule ultranationaliste « Mouvement impérial russe » au début des années 2010, mais il a assuré s’en être éloigné en 2014, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie. Il s’est d’ailleurs également décrit comme un « nationaliste de droite » qui pense que le régime de Vladimir Poutine ne peut être renversé que par la force.

Dans une vidéo relayée sur Twitter par Anton Gerachtchenko, conseiller au ministre de l’Intérieur ukrainien, il déclare les habitants de Belgorod ont demandé à la Légion de mener une opération de maintien de la paix dans la région.

« La Légion est composée d’opposants démocrates classiques. Ils se revendiquent de l’héritage lointain de la Révolution de février, dans la mesure où il s’agirait de militaires entrés en révolte contre l’Etat major et le pouvoir pour rétablir l’État de droit, résume Adrien Nonjon, doctorant à l’Inalco et spécialiste de l’extrême droite postsoviétique. Après, il peut y avoir une nuance au niveau des individualités. »

Le Corps des volontaires russes, une organisation ultranationaliste

Moins connu que la Légion il y a peu encore, le Corps des volontaires russes (RDK) a gagné d’un coup en notoriété en revendiquant, début mars, la première incursion en Russie depuis le début de la guerre russo-ukrainienne en 2014, dans la région frontalière de Briansk. Vladimir Poutine, avait immédiatement dénoncé l’intrusion de « terroristes néonazis ».

Vladimir Poutine devra-t-il être jugé, si des crimes de guerre sont avérés ? Débattez !

À l’image de son dirigeant Denis Nikitine (Kapoustine, de son vrai nom), figure connue du milieu hooligan et d’extrême droite en Russie, l’organisation porte effectivement une idéologie ultranationaliste, et même néonazie. Adrien Nonjon, qui a rencontré certains de ses membres dans le cadre de ses recherches, confirme le caractère « particulièrement extrême » de leurs idées. « Ce sont beaucoup de gens qui étaient en Ukraine bien avant l’invasion de février 2022. Certains d’entre eux ont fait partie du régiment Azov première mouture (le régiment s’est peu à peu dépolitisé après son intégration à la garde nationale par le ministère de l’Intérieur ukrainien), avant de se recentrer sur du militantisme culturel. Ils ont ensuite intégré le RDK sur la base du volontariat après le début de l’invasion », explique le chercheur.

Le média d’investigation russe Agentstvo a identifié plusieurs membres qui ont participé aux opérations à Belgorod à partir de photographies. On y retrouve Alexandre Skatchkov, qui vit en Ukraine depuis 2014. Il s’est porté volontaire pour rejoindre le bataillon de l’Organisation des nationalistes ukrainiens et, en 2015, a été blessé au combat. En 2020, il a été arrêté en Ukraine pour possession d’armes et distribution du manifeste du néonazi australien Brenton Tarrant, auteur de l’attentat contre deux mosquées de la ville de Christchurch.

Des membres du Corps des volontaires russes posent pour une photo au sommet d’un véhicule blindé au poste frontière de Graivoron à Kozinka, dans la région de Belgorod, en Russie, dans cette photo publiée le 23 mai 2023. | CORPS DES VOLONTAIRES RUSSES/DOCUMENT VIA REUTERS Voir en plein écran Des membres du Corps des volontaires russes posent pour une photo au sommet d’un véhicule blindé au poste frontière de Graivoron à Kozinka, dans la région de Belgorod, en Russie, dans cette photo publiée le 23 mai 2023. | CORPS DES VOLONTAIRES RUSSES/DOCUMENT VIA REUTERS

Dmitri Strelkov, reconnu coupable en 2019 d’avoir incendié une permanence du parti politique Russie unie et considéré comme membre de l’organisation néonazie Unité nationale russe.

Alexeï Levkin, qui combat depuis 2014 dans le bataillon Azov. Il a été un dirigeant de l’organisation politique néonazie Wotanjugend, sur lequel a enquêté le média d’investigation Bellingcat . Il est aussi une figure de la scène musicale néonazie et a joué un rôle important dans le développement du bataillon Azov, formé en 2014 par des paramilitaires volontaires d’extrême droite avec des affiliations néonazies et ultra-nationalistes.

Ilya Bogdanov, un ancien officier du Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB) qui est parti pour l’Ukraine en 2014 et a rejoint le bataillon de volontaires du Donbass de la Garde nationale d’Ukraine. En 2015, il a été victime d’une tentative d’assassinat, avant que les services spéciaux russes ne tentent de l’enlever.

Un impact militaire modeste mais un rôle « symbolique »

Avec l’Armée nationale républicaine, qui a revendiqué l’assassinat de Daria Douguina le 20 août 2022, la Légion et le RDK ont signé le 31 août dernier la déclaration d’Irpin, une union politique qui a pour but « la défaite de l’armée russe en Ukraine, la libération du Donbass et de la Crimée, ainsi que la destruction du régime de Poutine et de ses vestiges ».

À ce moment-là, « la Légion revendiquait deux bataillons, soit environ 2000 hommes », précise Adrien Nonjon, qui estime à « quelques centaines d’hommes » les effectifs du RDK, même si ces chiffres sont à prendre des pincettes. Pas de quoi changer la face de la guerre, d’autant qu’il s’agit d’unités légères. Cependant, l’incursion de Belgorod devrait tout de même contraindre la Russie à renforcer sa présence armée aux frontières, au détriment du front ukrainien. De quoi permettre à « Caesar », leader de la Légion, d’indiquer à la télévision ukrainienne que l’ampleur des opérations menées par les deux organisations « allait augmenter avec le temps ».

Mais leur rôle est aussi « symbolique » pour le chercheur : « Des soldats russes qui rallient l’Ukraine parce qu’ils se rendraient compte que cette guerre est sale, que Poutine est un tyran, ce serait un message fort. Cependant, c’est difficile de connaître l’ampleur réelle de ce mouvement de ralliement à cause du brouillard de guerre entretenu par l’état-major ukrainien. »

Des liens flous avec l’État ukrainien

Quels sont les liens réels de la Légion et du RDK avec l’appareil d’État ukrainien ? Si Kiev a démenti toute implication dans l’intrusion en Russie, il est difficile de croire que cette opération n’a pas bénéficié d’un feu vert à un certain niveau du commandement militaire.

Dès la création de la Légion, le ministère ukrainien de la Défense évoquait ouvertement sa coopération avec l’organisation. Oleksiy Arestovych, un important conseiller de la présidence ukrainienne qui a récemment démissionné, expliquait dans une vidéo qu’elle fonctionnait comme une unité au sein des forces armées ukrainiennes. Et Ilia Ponomariov, dirigeant politique de la Légion, a déclaré à la radio britannique LBC cette semaine que les Ukrainiens « nous aident pour former nos forces et nous fournissent l’équipement nécessaire ».

Concernant le RDK, beaucoup plus sulfureux, les autorités ukrainiennes sont plus distantes. « Les contours précis des liens avec l’armée ukrainienne sont flous. Sur le papier, ce sont des gens qui sont officiellement rattachés à l’armée ukrainienne. C’est pour cela qu’on les a retrouve sur divers terrains comme Kyiv Kherson ou Berdyansk. Néanmoins, ça ne veut pas dire pour autant que ces gens-là ne suivent pas leur propre agenda », précise Adrien Nonjon. La place prise par cette organisation peut-elle prêter le flanc discours de « dénazification » de l’Ukraine porté par Poutine ? Le chercheur reste prudent : « On a eu à partir de 2014 une mise au pas généralisé des éléments subversifs dans l’armée ukrainienne. Mais on observe encore aujourd’hui des composantes ultranationalistes au sein de l’armée, notamment grâce à l’attraction du régiment Azov et ses récents exploits militaires. Certains veulent revenir aux origines de ce régiment, avant sa relative dépolitisation. La question de la gestion de ces éléments se posera quand la guerre sera terminée. »

Source: Ouest-France