Cannes 2023 : “L’enlèvement”, histoire choc d'une conversion forcée au catholicisme
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De notre envoyé spécial sur la Croisette – “L’enlèvement”, nouveau film du réalisateur italien Marco Bellocchio, raconte l'histoire d'Edgardo Mortara, un jeune enfant juif, baptisé en secret par sa servante et arraché à sa famille par ordre du pape. À travers cette affaire qui a secoué l’Italie du 19e siècle, ce drame historique lève le voile sur une pratique répandue à l’époque, exercée au nom de dieu pour ‘sauver l'âme' les juifs.
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Peu de grands thèmes se dégagent cette année au sein de la sélection du Festival de Cannes tant la liste des films retenus est éclectique. Pour autant, cette 76e édition a été émaillée de plusieurs fresques historiques très remarquées qui ont suscité d’intenses débats sur la Croisette.
Cette exploration des grands évènements du passé a débuté dès l’ouverture avec l’avant-première de “Jeanne Du Barry”, nouveau film de Maïwenn sur la tumultueuse relation entre Louis XV et sa dernière favorite. Avec un Johnny Depp en roi de France, dont la prestation a fait couler beaucoup d’encre, en plus des nombreuses polémiques drainées par le film.
Sur le même thème, “Le jeu de la reine”, du brésilien Karim Aïzouz, explore le destin d’une autre femme forte, Catherine Parr, sixième épouse du terrible roi d’Angleterre Henri VIII, parvenue à résister à sa tyrannie.
D’autres long-métrages explorent des épisodes dramatiques de l’histoire moins connus, comme le nouveau Martin Scorsese “Killers of the Flower moon” rassemblant Léonardo Di Caprio et Robert de Niro. Ovationné sur la Croisette, ce long-métrage de plus de trois heures revient sur le meurtre de membres de la tribu amérindienne des Osages, dans les années 1920, après avoir découvert de grandes quantités de pétrole sur leur territoire.
Tout aussi marquant, le film du réalisateur Marco Bellocchio, “Rapito” (L’enlèvement), projeté ces derniers jours, a suscité l’intérêt des critiques, se frayant une place de choix parmi les favoris de la compétition. Ce drame historique retrace l’incroyable destin d’Edgardo Mortara, jeune italien juif né à Bologne en 1851, dont l’histoire a suscité un émoi national dans l’Italie du 19e siècle. Baptisé en secret, alors qu’il était bébé, par sa servante, il est enlevé à sa famille à l'âge de six ans, sur ordre du pape, et placé dans un institut à Rome, où il sera élevé dans la foi catholique jusqu’à l'âge adulte. Une histoire effroyable qui est loin d’être un cas isolé.
Conversion forcée
Un soir de juin 1958, la police débarque au domicile des Mortara, fait réveiller les enfants et donne vingt-quatre heures à la famille pour leur remettre le petit Edgardo, alors âgé de six ans. Les autorités, qui agissent aux ordres du pape, informent les parents que celui-ci a été baptisé bébé. Un rapide calcul permet à la famille d’identifier l’auteur de cette trahison, une ancienne bonne, renvoyée pour chapardage. Mais dans l'État pontifical de Bologne, toute discussion est impossible.
Ayant été baptisé, le jeune garçon est un apostat, il ne peut vivre dans une famille juive. Seule l’église peut sauver son âme. L’inquisiteur de Bologne organise son placement dans une maison des catéchumènes, institut fermé destiné à la conversion au catholicisme des jeunes juifs, musulmans ainsi que des chrétiens non catholiques.
Emprise et culpabilité
À travers le parcours de ce jeune enfant, brutalement enfermé du jour au lendemain dans les préceptes de la religion catholique, le réalisateur Marco Bellucchio se livre à une minutieuse exploration des raisons de cette emprise qui dépasse de loin le cadre de son récit. À son arrivée dans sa nouvelle maison, un jeune garçon lui explique qu’il doit adopter un comportement exemplaire s’il veut retourner au plus vite au sein de sa famille. Un conseil qui se révèle être un piège puisqu’il donne l’apparence d’une conversion heureuse et conforte au contraire la décision des autorités papales d’écarter l’enfant de sa famille.
Dans le même temps, le travail d’embrigadement est à l’œuvre, basé sur un double ressort : l’enfermement et la culpabilisation. Lorsqu’il demande quand il pourra revoir sa mère, on lui répond que c’est elle qui viendra et qu’il devra “le mériter”. Dès son arrivée, on explique au jeune Edgardo, devant une géante statue du Christ crucifié sur la croix, que les juifs ont tué Jésus.
Un soir comme pour absoudre ses péchés, le jeune garçon retire les clous des mains et des pieds de la statue du fils de dieu, le ramenant à la vie au cours d’une scène fantasmagorique symbolisant le rêve secret du petit Edgardo de fuir sa prison. Mais l’embrigadement psychologique agit comme un rouleau compresseur sur l’esprit du jeune garçon. Lorsqu'exceptionnellement un élément extérieur vient troubler la quiétude de l’enseignement, Edouardo est pris à part. “Il ne s’est rien passé, il ne s’est rien passé” lui répète-t-on immédiatement.
Le mystère Edgardo Mortara
L’histoire d'Eddgardo est exceptionnelle à plus d’un titre. Par sa médiatisation tout d’abord car ses parents n’ont cessé de se battre contre les autorités pontificales pour récupérer leur enfant, mobilisant la presse libérale qui s'empare de l’affaire jusqu’à créer un scandale national. L’affaire devient un symbole de la résistance face à l’inquisition, qui raidit encore la position du pape Pie XI, bien décidé à appliquer à la lettre les dogmes religieux et à maintenir son pouvoir. Cette affaire a été mise en avant car elle a pris une tournure “politique”, a souligné Marco Bellocchio, mercredi, lors de la conférence de presse du film, rappelant qu’elle coïncide avec la “dislocation de l’État pontifical”.
Ce contexte historique, intrinsèquement lié à l’affaire Mortara, est illustré par la structure du film qui repose sur trois piliers : l’enlèvement en 1858, le procès en 1860, rendu possible par la prise de pouvoir des nationalistes à Bologne et enfin la conquête de Rome en 1870.
Autre élément particulier et non des moindres, la trajectoire d’Edgardo Mortara qui, malgré cette incommensurable épreuve, deviendra prêtre et demeurera jusqu’à sa mort un fervent catholique, à l’écart de sa famille. Marco Bellocchio use avec habileté du mystère entourant la psychologie du personnage tout au long du film. Fait-il semblant ? Est-il dans un réflexe de protection ou victime du syndrome de Stockholm ? Tout au long du récit, le personnage fascine et interroge.
Conversions en série
Bien qu’elle présente de nombreuses singularités, l’affaire Mortara n’est pourtant pas un fait isolé. “Il y a eu de nombreux, nombreux cas, des centaines depuis les années 1 500 dû au fait que familles juives durant Chabbath avaient besoin d’avoir une servante catholique” explique le réalisateur. De nombreux travaux d’historiens confirment que biens d’autres affaires de conversion forcées ont eu lieu, favorisées par le contexte de forte discrimination entretenu à l’égard des juifs.
Dans l’affaire Morena, la servante affirme durant le procès avoir baptisé le petit Edgardo alors qu’il était malade. Le croyant mourant elle aurait effectué ce geste pour lui éviter de sombrer "dans les limbes", selon la croyance répandue à l’époque que seule sa conversion était en mesure de sauver son âme.
Ces conversions secrètes, pratiquées au nom de convictions religieuses, étaient utilisées par les autorités comme levier pour pousser les familles juives à épouser la religion catholique, seule manière de récupérer leur enfant. Une option farouchement combattue par la famille Mortara, qui n’a jamais accepté de choisir entre son enfant et sa religion.
Brûlot anticléricale ?
Marco Bellocchio explique avoir découvert le destin d’ Edgardo Mortara dans l’ouvrage “d’un auteur très catholique et conservateur,” Vittorio Messori, “qui y défendait les raisons qui ont poussé le pape à le séparer de sa famille”. Le projet de film, initialement intitulé “La conversion” a graduellement pris une tournure critique comme en témoigne son titre final. Cette affaire extrêmement médiatisée a déchainé les passions, générant de nombreux récits des faits, parfois contradictoires, entre lesquels il a fallu faire le tri.
Marco Bellucchio lors de la conférence de presse mercredi. © David Rich
“Nous avons eu la chance de pouvoir “travailler sur les sources directes” à expliqué Susanna Nicchiarelli, co-scénariste du projet, lors de la conférence de presse. “Nous avions les dépositions du procès et notamment celle de Mariana Mortara, la mère, qui décrivait en détail toute la première partie du film, l’arrivée des policiers, le fait qu’ils demandent le nom des enfants... Cela nous a permis de choisir entre un grand nombre d’éléments qui sont vraiment arrivés”.
Restait alors à imaginer l’intimité des personnages, un aspect sur lequel très peu d’informations étaient disponibles, explique Marco Bellocchio, qui a mis en exergue les contradictions d’Edgardo Mortara et la souffrance qui en découle. Le cinéaste n’en est pas à son premier coup de poignard contre les dogmes de l'Église catholique. Son film “Le sourire de ma mère" notamment, sélectionné à Cannes en 2002, avait été attaqué par plusieurs évêques et interdit dans les quelque 1 100 cinémas possédés par le Vatican en Italie.
S’il reconnaît une sympathie naturelle pour l’enfant arraché à sa famille, Marco Bellocchio réfute le fait que “Rapito” soit une œuvre anticléricale. “Il ne s’agit pas d’un film contre le pape ni l’Église catholique mais contre l’intolérance” insiste-t-il.
“Le petit Edgardo n’a jamais été maltraité, au contraire, il a bénéficié d’une attention extrêmement bienveillante. Il n'a jamais été frappé ni puni et le pape voulait le protéger dès le début en lui octroyant une pension annuelle pour ses études” a-t-il souligné, décrivant le garçon comme “une bouée de sauvetage” dans un univers qui s’écroule. “Quand quelqu’un, comme un dictateur, ne veut pas perdre le pouvoir, il préfère aller jusqu’au bout de la chute. C’est le cas de Pie IX qui dit non, je ne renoncerai pas au petit Edgardo”.
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Source: FRANCE 24