Le réalisateur américain Kenneth Anger, figure du cinéma underground et poète sulfureux, est mort

May 25, 2023
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Le réalisateur américain Kenneth Anger, à Los Angeles, en 1955. ESTATE OF EDMUND TESKE / GETTY IMAGES

Les mages et les alchimistes meurent-ils jamais vraiment ? La question se pose en ce qui concerne le réalisateur américain Kenneth Anger, figure tutélaire du cinéma underground et de l’esthétique queer, poète occultiste et somptueux artificier de sortilèges kaléidoscopiques pour le grand écran, qui s’est éteint le 11 mai à l’âge de 96 ans. L’artiste, qui fit de sa propre mort un canular en publiant son acte de décès dans le Village Voice en octobre 1967, et de sa vie une invention permanente, laissera-t-il la mort ponctuer son histoire à sa place ? Rien n’est moins sûr.

Kenneth Anger lègue au cinéma américain une œuvre de courts-métrages, essentielle en ce qu’elle explore l’envers de l’imagerie hollywoodienne. Ses films s’apparentent à d’étranges cérémonies aux confins du songe et de l’illusion psychotrope, où des silhouettes iconiques et érotisées, invoquant des forces obscures, déambulent dans des jungles de fétiches ornementaux, de signes cabalistiques et de couleurs étincelantes. Leur onirisme et leur splendeur plastique eurent une influence déterminante sur des cinéastes aussi variés que David Lynch, Dennis Hopper, Rainer Werner Fassbinder ou Alejandro Jodorowsky.

Kenneth Wilbur Anglemyer est né le 3 février 1927 à Santa Monica, en Californie. Cadet de la famille, il trouve refuge chez sa grand-mère qui, durant la Grande Dépression, l’emmène souvent au cinéma et vit chez une autre femme de son âge, Diggy, qui avait été costumière à Hollywood. Diggy se plaît à lui raconter les rumeurs qui circulent sur le milieu du cinéma et des célébrités. Anger développe ainsi une obsession pour les stars et leur face cachée, fonds douteux de faits divers, de scandales et de déviances qui constituera sous sa plume la matière de deux livres devenus cultes, Hollywood Babylone I & II (1959 et 1986).

Intérêt pour l’occultisme

Grâce à l’entregent de Diggy, Kenneth joue, à 8 ans, le rôle du Prince changelin dans la féerie Le Songe d’une nuit d’été (1935), de William Dieterle et Max Reinhardt. Il y figure en costume oriental et racontera avoir été émerveillé par le riche décor de fantaisie, tout en carton-pâte, qui se déployait autour de lui. De cette scène originelle, il se remettra d’autant moins qu’il ne deviendra pas un enfant star, comme lui et sa mère en avaient un moment caressé l’espoir.

Dès lors, Hollywood revêt pour lui l’aura d’une citadelle à la fois proche et inaccessible, usine à fantasmagories qui fait turbiner son imaginaire. Autre source de fascination, celle qu’il éprouve pour Le Magicien d’Oz, de Lyman Frank Baum, et ses suites, cycle de romans pour enfants qui, perclus de symboles et de motifs à double sens, comportent aussi un caractère cryptique. Ces deux univers ne cesseront de se refléter dans son œuvre comme à travers un miroir inversé.

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Source: Le Monde