TotalEnergies : échauffourées et gaz lacrymogène avant une assemblée générale

May 26, 2023
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Avant l’ouverture de l’assemblée générale de TotalEnergies, le 26 mai 2023, à Paris. STEPHANIE LECOCQ / REUTERS

L’assemblée générale (AG) de TotalEnergies, vendredi 26 mai, s’annonce mouvementée. Dès l’aube, avant même son ouverture, des échauffourées ont éclaté entre manifestants pour le climat et forces de l’ordre, tandis que des actionnaires en désaccord avec la politique climatique du groupe français spécialiste des hydrocarbures sont aussi présents.

Des dizaines de militants ont tenté de pénétrer dans le tronçon de rue passant devant la salle Pleyel, où doit se tenir l’assemblée générale du groupe, dans les beaux quartiers parisiens. Quelques-uns d’entre eux, qui s’étaient assis devant l’entrée, ont été délogés par la police, donnant lieu à des échauffourées. Les policiers ont également fait usage de bombes lacrymogènes.

Après trois sommations en moins d’une minute par haut-parleur, les forces de l’ordre ont projeté du gaz lacrymogène au milieu d’un groupe de militants qui s’étaient assis par terre. Une coalition d’ONG avait appelé à bloquer la réunion et des dizaines de militants occupent les entrées de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, chantant notamment « ce qu’on veut, c’est renverser Total » et « un, deux et trois degrés, c’est Total qu’il faut remercier ».

« On ne comprend pas cette violence »

« Dès qu’on est arrivés à 6 heures, il y a eu une répression policière énorme, on s’est fait gazer, on s’est fait marcher dessus… Pourtant on est non violents », dénonce Steven Sasha Arfeuille, porte-parole d’Alternatiba, auprès du Monde. Les CRS, déjà présents dans la rue avant l’arrivée des activistes, ont envoyé deux grenades lacrymogènes sur les militants, « dont l’une a rebondi sur la casquette d’une militante et a brûlé la jambe d’une autre », raconte Hélène Martinelli, militante à Alternatiba Paris. Elle-même a été poussée violemment au sol, se blessant légèrement les genoux.

« On ne comprend pas cette violence des forces de l’ordre envers des militants pacifistes pour défendre une entreprise privée qui détruit l’environnement et bafoue les droits humains », abonde Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre, citant le mégaprojet d’oléoduc pétrolier Eacop en Ouganda et en Tanzanie qui a délogé plus de 100 000 personnes, qui n’ont pas encore toutes été dédommagées.

Des manifestants pour le climat délogés par des gaz lacrymogènes avant l’assemblée générale de TotalEnergies, le 26 mai, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

La situation restait tendue aux alentours de 8 heures, avec des forces de l’ordre tentant par intermittence de déloger les militants. « On ne peut plus laisser les entreprises détruire le vivant impunément. C’est légitime de venir manifester de manière non violente. Les pratiques des forces de l’ordre qui protègent la première entreprise pollueuse de France sont dramatiques. La légalité est de notre côté. C’est aussi une protection du droit », assure Marie Toussaint, députée européenne écologiste venue soutenir l’action.

Les autorités attendent entre 200 et 400 militants

La réunion arrive à la fin d’une saison d’AG houleuses, où des militants ont multiplié les actions contre les grands groupes, comme chez les concurrents Shell et BP ou la banque Barclays, accusée de financer l’expansion de projets d’hydrocarbures. Le tout sur fond de profits faramineux : ensemble, les majors BP, Shell, ExxonMobil, Chevron et TotalEnergies affichent plus de 40 milliards de dollars de bénéfices ce trimestre, après une année 2022 grandiose.

Signe des tensions attendues, TotalEnergies interdira aux actionnaires et aux journalistes d’utiliser leurs téléphones portables, et les obligera à laisser certains effets personnels à l’entrée. Le groupe veut surtout éviter le scénario chaotique de l’année dernière, quand des militants d’ONG avaient empêché des actionnaires d’assister à l’AG.

Les autorités s’attendent à la présence de 200 à 400 militants, qui « veulent absolument empêcher la tenue de l’AG », selon une source policière. « L’AG de Total n’aura pas lieu », ont d’emblée prévenu à la fin d’avril dans une tribune les signataires 350.org, Alternatiba, Amis de la Terre, ANV-COP21, Attac, Greenpeace, Scientifiques en rébellion et XR. « Cette assemblée générale prévoit de perpétuer la stratégie du pétrolier : toujours plus de projets fossiles et une répartition injuste des superprofits qui alimente l’injustice climatique et sociale », dénoncent-ils.

Parmi les sujets brûlants, les quelque 1,5 million d’actionnaires individuels, présents ou en ligne, sont appelés à voter sur une résolution consultative émanant de l’organisation d’actionnaires activistes Follow This, qui s’attaque principalement aux émissions indirectes de CO 2 . Autrement dit celles liées à l’utilisation du pétrole par ses clients dans les voitures ou pour se chauffer (scope 3 dans la comptabilité carbone), l’équivalent de 85 % de son empreinte carbone.

Conflit autour de deux résolutions climatiques

L’organisation demande à Total d’aligner ses objectifs de réduction sur l’accord de Paris de 2015, afin de limiter le réchauffement planétaire à + 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Parmi cette coalition de 17 investisseurs qui détiennent près de 1,5 % de TotalEnergies figurent La banque PostaleAM, Edmond de Rotschild AM, La Financière de l’Echiquier.

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Le groupe recommande de voter contre, jugeant la résolution « contraire aux intérêts » de TotalEnergies, « de ses actionnaires et de ses clients ». La major va néanmoins faire valoir ses efforts pour le climat et appelle ses actionnaires à « voter en faveur » de sa propre résolution climatique. Cette stratégie officielle se concentre surtout sur ses émissions directes, issues de ses opérations et celles liées à l’énergie qu’elle consomme (périmètres dits du « scope 1 et 2 »).

Même si le groupe n’envisage pas de baisser drastiquement ses émissions directes au cours de la décennie, il entend consacrer un tiers de ses investissements dans les énergies bas carbone et atteindre 100 GW de capacité d’électricité renouvelable d’ici à 2030. « Ce sont les revenus des hydrocarbures qui nous permettent d’investir massivement et de développer les renouvelables », a fait valoir le PDG, Patrick Pouyanné, mercredi dans une interview au magazine Challenges.

Le groupe est présent dans de nombreux projets de gaz naturel liquéfié et de pétrole, aux Emirats arabes unis, en Irak, en Papouasie ou encore en Ouganda. « On [n’]a pas su anticiper », a concédé M. Pouyanné à Challenges au sujet de cette polémique, qui s’ajoute à bien d’autres pour le groupe, aussi critiqué pour son bénéfice record de 20,5 milliards de dollars (19,12 milliards d’euros) en 2022, ses impôts en France ou le salaire du PDG. Une hausse de 10 % de sa rémunération pour 2023 est d’ailleurs à l’ordre du jour de l’assemblée générale.

Source: Le Monde