La Formule 1 a-t-elle encore besoin du Grand Prix de Monaco ?

May 26, 2023
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La question ressemble à une provocation, mais le principe de réalité commande de la poser. Monaco a aujourd'hui trois éditions de visibilité sur son Grand Prix de Formule 1, en comptant 2023. A l'échelle de la transformation du sport, c'est peu. En fin de bail avec le championnat du monde, la Principauté avait signé à l'arraché, le 20 septembre dernier, un nouveau contrat avec Formula 1, jusqu'en 2025, quelques heures avant la promulgation du calendrier 2023. Plus exactement, le prince Albert II s'était substitué à l'Automobile club de Monaco pour négocier avec le détenteur des droits la sauvegarde de son épreuve quasi centenaire - elle est née en 1929, par ailleurs l'un des Grands Prix fondateurs du championnat du monde en 1950. Parce que le Grand Prix de Monaco devait rentrer dans le rang, ou disparaître.

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Le Grand Prix de la Riviera avait alors abandonné tout un tas de prérogatives accordées par Bernie Ecclestone, et accepté de s'aligner sur les conditions imposées à tous les signataires. L'épreuve était jusque-là un état dans l'état par la volonté de "Mister E", qui la considérait comme intouchable, une vitrine inégalable de la Formule 1. En 2017, son éviction par Liberty Media avait changé la donne et placé le Rocher en sursis.

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La F1 s'est passée de Monaco en 2020

Pour tout ce prestige étalé chaque année dans cet écrin incomparable, Monaco devait verser une somme dérisoire - entre 5 et 10 millions d'euros - au titre du prix du plateau, autrement dit le prize money reversé en fin de saison aux équipes. La Principauté avait aussi la mainmise totale sur la réalisation TV et sur les affichages publicitaires.

Au fil du temps, l'étau s'est resserré. Il y a eu l'interdiction des grid girls, au nom de la protection de l'image de la femme, à laquelle l'ACM s'était pliée, avant de la contourner ; l'abandon du roulage le jeudi, aussi. Finalement, le partenariat avec l'horloger Tag Heuer, concurrent direct de celui de la Formule 1 (Rolex), aura provoqué l’ire de Formula 1 et la fin de l'exception monégasque. Formulée à travers un contrat d'une nouvelle formule à compter de 2023.

"Avant, l'Automobile club de Monaco (ACM) avait tous les droits sur le Grand Prix, nous explique Jacky Eeckelaert, ex-ingénieur en Formule 1 de Jenson Button et Kimi Räikkönen, et résident monégasque. Ils se faisaient payer les publicités autour du circuit, une partie - je pense - des droits de télévision. Tout ça est fini. Michel Boeri, le président de l'ACM, disait que la Formule 1 avait besoin de Monaco, mais que Monaco n'avait pas besoin de la Formule 1. Mais c'était quand même dangereux car la Formule 1 pourrait continuer sans Monaco."

En 2020, l'absence de Monaco au calendrier était effectivement passée inaperçue en pleine pandémie de Covid. Et dès sa prise de fonction comme PDG de Formula 1, début 2022, Stefano Domenicali avait clamé que Monaco était un rendez-vous parmi d'autres, avec sa singularité, certes, mais qui ne la distinguait plus vraiment.

Un circuit impossible à copier

"Je n'ai jamais vu Monaco sans Formule 1 à part à cause du Covid en 2020", s'était offusqué Charles Leclerc lors du week-end de course 2022. "La Formule 1 sans Monaco n'est pas la Formule 1. La Formule 1 a une histoire, a des circuits historiques comme Silverstone, Monza ou Monaco et pour moi ils doivent rester", avait ajouté, inquiet, le pilote de Ferrari. Il parlait en tant que Monégasque, et quelques-uns de ses confrères avaient appuyé son propos.

Malheureusement, on sait comment sont les pilotes : modernes avec les modernes, traditionnalistes avec les traditionnalistes. Pour parler du vent de fraîcheur de Miami ou de Las Vegas, ils sont là. Pour évoquer l'ambiance incomparable des piliers du Mondial, aussi. Ce qui, quelque part, brouille leur message.

En vérité, les gladiateurs de la piste courent après la rareté, l'exception, à Monaco. Le circuit est un point de référence intangible en matière de virtuosité au volant et chacun veut ajouter son nom à la liste des grands qui ont fait sa réputation. Il est impossible à reproduire - aucun tracé lui ressemblant n'obtiendrait son homologation auprès de la FIA aujourd'hui - et il n'a pas changé depuis qu'il figure au programme du Mondial.

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Un pan d'histoire pour trois équipes

Pour beaucoup, la victoire est synonyme de triomphe dans cet univers oppressant, anachronique, punitif ; une incongruité, en somme, que le triple champion du monde Nelson Piquet résumait par "faire du vélo dans son salon". Les équipes, de leur côté, s’avouent sensibles à ce pan d'histoire. Mais combien d'entre-elles y ont réellement traversé les âges ? Ferrari, McLaren et Williams, c'est tout. Elles sont au moins d'accord sur une chose : l'endroit est celui des habitués et il résiste encore aux effets de mode, aux artifices.

Parce que, par exemple, les stars de cinéma s'y promènent pour une bonne raison : elles sortent du Festival de Cannes et de nulle part ailleurs. "Monaco, c’est la course et le glamour", a bien résumé Günther Steiner, le directeur d’équipe de Haas, au début de cette semaine pas comme les autres. Bref, Monaco est iconique dans l’esprit de beaucoup, et ça ne va pas changer comme ça. La Principauté est surpassée de temps à autres par un déballage de stars dans des mises en scène bling-bling, fourre-tout et europhoriques, mais elle reste finalement inimitable et indémodable.

"Peut-être que Las Vegas sera super la première année, mais plus la deuxième, avance Jacky Eeckelaert. C'est une nouveauté, les gens ont envie de voir ça la première année, mais ce ne sont pas des gens de la Formule 1. Alors que Monaco c'est la Formule 1, depuis des années. C'est le 80e Grand Prix cette année." Les audiences du deuxième Grand Prix de Miami, en nette baisse par rapport à la première année, l'ont d'ailleurs prouvé.

Le circuit du Grand Prix de Monaco Crédit: AFP

Comment changer le tracé sans le dénaturer ?

La Principauté a donc abandonné le contrôle à Formula 1 et elle règle 20 millions de dollars par édition. Ce qui reste le droit d'entrée le plus faible des épreuves 2023 et une affaire rentable au plan de la notoriété et de la comptabilité : le chiffre d’affaires du Grand Prix tourne au bas mot autour d'un milliard d'euros et génère donc une TVA de 200 millions d'euros. A l'heure où beaucoup de promoteurs tirent le diable pas la queue pour joindre les deux bouts, Monaco est sûr de son modèle économique.

Le Rocher n'est heureusement pas qu'un business et l'épreuve a toujours cherché à justifier son statut, améliorer ses standards, ce qui l’a peut-être sauvée. Les commissaires de piste restent les meilleurs du monde et les stands n'ont cessé de gagner de la place pour séduire les équipes. En revanche, pour ce qui est du sport le constat est plus nuancé : le serpentin le plus court de la saison (3340 mètres) n’est pas propice aux dépassements - il y en a eu aucun en 2021 - et c'est peut-être là que la course se met le plus en danger.

Alors, pourquoi ne pas faire évoluer le tracé ? "Je me suis déjà posé la question, plusieurs fois. C'est très difficile, tempère Jacky Eeckelaert. Pour avoir une zone de dépassement intéressante, on pourrait supprimer la chicane du port, à la sortie du tunnel, et filer tout droit - ou en léger virage - à fond jusqu'à Bureau de tabac. On pourrait rendre ce virage plus lent, plus angulaire. En arrivant là-dessus à très haute vitesse, après une longue ligne droite (depuis le Portier à l'entrée du tunnel), on pourrait imaginer de beaux dépassements. Ce serait quelque chose à évaluer."

C'est sûrement là que le circuit de Monaco, arpenté ce weekend par les bolides de la Formule 1, a encore la capacité de se renouveler afin d'offrir des gages aux décideurs, sans renier ce qui a fait son succès.

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Source: Eurosport FR