On a testé… Firefly, l’IA de Photoshop capable de chambouler une photo
En mars, Adobe mettait en ligne un nouvel outil d’intelligence artificielle (IA) baptisé Firefly (testable gratuitement en bêta avec un compte Adobe), permettant de générer des images depuis zéro en saisissant une consigne, comme « image photo réaliste d’un vélo qui gravit un terril ». Avec des résultats toutefois moins convaincants que ceux d’un service de génération d’images, comme Midjourney.
Mais Firefly est aussi capable de transformer des photographies déjà existantes : de modifier du texte, des couleurs, et surtout d’y effacer des éléments disgracieux, par exemple. Dans certains cas, elle le fait étonnamment bien, comme le montrent nos tests de la version expérimentale de Photoshop lancée le 23 mai, la première à intégrer directement ce nouvel outil.
• Elargir une image
efficace
Combien de photos échouent très près d’être réussies à cause d’un cadrage raté ? Seul un excellent retoucheur saura élargir ces images pour y reconstruire les éléments manquants – un morceau de visage, une robe, un arbre, un pan de bâtiment, etc. Firefly est étonnamment efficace à cet exercice : cinq de nos six essais se sont avérés convaincants – un chiffre à prendre avec prudence, car nos clichés ne sont pas représentatifs de ceux d’autres photographes.
Tout est crédible sur la partie ajoutée par Firefly à gauche de l’image : le pavé, la robe, la chaussure, le bâtiment, les transats empilés. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
L’opération est simple. On ajoute une marge blanche en bord d’image, on la sélectionne : une petite barre apparaît au milieu de l’écran. On clique sur « remplissage génératif », puis sur « générer », et on patiente quelques dizaines de secondes, le temps que Photoshop communique avec le serveur chargé de fabriquer les images. Il ne reste plus qu’à choisir parmi trois versions proposées.
Sur l’image élargie, le personnage debout est beaucoup mieux centré. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
• Insérer un objet
décevant
Firefly est beaucoup moins convaincant lorsqu’on lui demande d’insérer un objet ou un animal fabriqué de toutes pièces dans une image. La grande majorité du temps, la tentative débouche sur ce qui ressemble à un dessin incrusté dans la photo… ou à un échec pur et simple.
L’orque semble s’être échappé d’un dessin animé. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
Cette opération demande plus d’efforts que la précédente. On doit décrire textuellement l’élément qu’on souhaite ajouter à l’image, par exemple « une tête d’orque qui sort de l’eau », en anglais pour le moment. Cela réclame généralement plusieurs essais. Faute de résultat immédiatement convaincant, on est tenté de cliquer répétitivement sur le bouton « generate » pour obtenir trois nouvelles propositions. A chaque demande, il faut patienter de longues secondes. Au bout d’une vingtaine d’images générées, le découragement guette.
Ce n’est qu’à la 21ᵉ proposition que nous sommes enfin parvenus à une image tout juste crédible d’avion ancien. Il reste encore un peu de travail pour mieux fondre ce qui ressemble plus à un dessin dans la photographie. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
• Effacer un personnage
efficace
Firefly se montre bien plus compétent lorsqu’on lui demande de gommer des personnages dans une image, une manipulation souvent tentante sur des photos de vacances. La majorité du temps, le résultat est suffisamment propre pour être crédible, bien plus que lorsqu’on emploie les outils de « remplissage » de Photoshop. Mais à la place des personnages gommés, les zones reconstituées ne satisferont pas toujours les professionnels exigeants. Dans une minorité de cas, les débutants eux-mêmes ne se laisseront pas duper.
Derrière la petite fille, le fonds dégagé n’est pas irréprochable. Mais peu d’observateurs le remarqueront si l’on ne les prévient pas que l’image a été manipulée par IA. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
• Remplacer une partie d’image
assez décevant
Avant même de remplacer un objet ou une zone, il faut le ou la sélectionner (« détourer » ses contours). Les outils de sélection automatique de Photoshop ne font hélas pas de miracle, et quand bien même on les aide avec un peu de savoir-faire manuel, on peine souvent à isoler impeccablement les objets à remplacer. La sélection empiète, par exemple, sur les oreilles du chat qu’on souhaite conserver, ou les cheveux de son maître. Parfois aussi, le nouvel objet inséré par Firefly est parasité par des restes de la zone effacée. C’est d’autant plus regrettable que l’IA parvient souvent à générer des éléments assez crédibles en remplacement.
Il aura fallu générer une trentaine d’images, et refaire le détourage à la main pour libérer ce jaguar de sa cage. Mais la découpe du museau et des pattes par l’IA ne convaincra pas un œil avisé. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
La plupart du temps, un œil avisé repérera immédiatement les signes du passage de l’IA. Dans l’état actuel de la technologie, ces images seront inutilisables pour une grande marque souhaitant publier une publicité en pleine page dans un magazine. Mais elles pourront peut-être servir à une petite association souhaitant communiquer sur les réseaux sociaux avec des images basse résolution.
Nous avons demandé à Firefly d’épurer la photo de gauche en supprimant l’ordinateur, les accessoires empilés dessus, et le radiateur. Là aussi, une trentaine de versions a été nécessaire pour aboutir au cliché de droite, loin d’être pleinement convaincant. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
• Jouer sur la météo
décevant
Peut-on rendre une photo plus saisissante en y ajoutant un ciel d’orage, ou égayer un jour gris avec un azur ensoleillé ? Firefly est mauvais à cet exercice. Il bute encore sur des problèmes de détourage : les contours du ciel sont mal sélectionnés.
Les oreilles et la queue de ce pauvre chat ont été déformés par Firefly. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
L’IA tente parfois de résoudre le problème en recréant de toutes pièces des parties d’image situées à la limite entre le ciel et le sol. Elle est capable de modifier intégralement le haut de la canopée d’une forêt. Mais, trop souvent, ces manipulations aboutissent à dénaturer la photo d’origine. En insérant un ciel bleu sur une image photographiée au Bangladesh, Firefly s’est obstiné à y intégrer des montagnes, contrastant absurdement avec la planéité de cette région, ou des clôtures tout à fait incongrues.
Les étonnantes montagnes que Firefly situe dans une zone parfaitement plate du Bangladesh. NICOLAS SIX / « LE MONDE »
L’utilisateur peut reprendre la main et choisir de ruser, en sélectionnant seulement une partie du ciel. L’IA n’interviendra alors que sur cette zone réduite. Mais les possibilités « météorologiques » sont alors limitées à de petites interventions, telles que l’ajout de nuages.
En résumé
D’ici à la fin d’année, l’IA Firefly sera intégrée à la version commerciale de Photoshop, outil indispensable à nombre de professionnels de l’image. Mieux que jamais ils pourront recomposer des photographies moyennant un effort minime. Notamment les élargir d’une façon qu’on pourrait qualifier de magique, ou supprimer les personnages qui ne gagnent pas à y figurer.
Cette évolution de Photoshop peut donner le vertige. Les tenants de l’authenticité y verront sans doute le début d’une ère de manipulations et d’insincérité. Les usagers focalisés sur la productivité et l’efficacité s’en réjouiront d’autant plus que l’usage de Firefly ne ferait, selon Adobe, planer aucun risque juridique sur ses usagers. Cette IA aurait été entraînée avec des images dont les auteurs avaient préalablement donné leur accord d’utilisation – une précaution dont ne s’embarrassent pas tous ses concurrents.
Source: Le Monde