Guerre en Ukraine : Bakhmout, Marioupol… Comment reconstruire les villes martyres ?

May 26, 2023
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A Bakhmout, la désolation règne. Les immeubles sont vides, éventrés, noircis par les explosions. Le sol n’est plus visible sous les gravats, les fleurs ont cédé la place aux douilles, les buissons aux carcasses de voitures brûlées. « Il faut comprendre qu’à Bakhmout, il n’y a plus rien », disait Volodymyr Zelensky il y a quelques jours. Après des mois de siège, comme Marioupol avant elle, Bakhmout a été rayée de la carte en même temps qu’elle passait sous contrôle russe.

Faisons un petit saut dans le temps, au lendemain de la signature de la paix entre la Russie et l’Ukraine. Quel que soit le vainqueur, le drapeau qui flottera sur la ville, la vie reprendra son cours une fois le chant des armes et des sirènes tu. Ces villes dévastées, où pas un bâtiment n’a été épargné, peuvent-elles être reconstruites ? Quels sont les enjeux d’un tel chantier ? Comment allier patrimoine, mémoire de la guerre et ville neuve ? 20 Minutes fait le point avec Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’ordre des architectes.

Une ville détruite, ça se reconstruit ?

L’Ukraine n’est pas un cas isolé. « C’est une question que la France a déjà connue suite à la Seconde Guerre mondiale », rappelle Christine Leconte. « Dunkerque, Caen, Le Havre ou Saint-Nazaire par exemple ont été bombardées et ont subi des phases de reconstruction », cite-t-elle. L’exemple majeur de la période se situe de l’autre côté du Rhin, à Dresde, presque intégralement détruite par un bombardement allié, et reconstruite sous la RDA. Aujourd’hui, la « Florence de l’Elbe » possède toujours un patrimoine florissant, d’imposants bâtiments baroques et compte plus de 560.000 habitants.

« En France, on a cette expérience », avec la capacité à mettre en œuvre de « grands plans d’action nationaux », souligne l’architecte, avec une « reprise des tracés existants, ou pas ». Plusieurs possibilités peuvent se combiner, de la construction ex nihilo à « l’architecture inversée, c’est-à-dire repartir des traces pour regarder comment les choses étaient construites ». « On a la capacité de restaurer », ajoute Christine Leconte, évoquant l’exemple de Notre-Dame de Paris. « L’urbanisme n’est pas une page blanche, on peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, mais il faut sonner une ambition avec un cadre au départ pour que la vitesse soit gage de qualité ».

Quels sont les grands enjeux ?

Car ce sont là deux des grands enjeux de la reconstruction. Il faut qu’elle soit « rapide, parce qu’il y a des gens à loger, et même temps leur donner du confort qui correspond à nos usages », balance Christine Leconte. Un rythme difficile à trouver tant que le combat vampirise l’essentiel des ressources ukrainiennes, à l’image du village de Boutcha, encore en plein chantier un an après avoir été libéré. Autre équilibre à trouver, celui d’une « reconstruction avec le patrimoine » qui prenne en compte les « enjeux modernes » d’une « ville durable ». La Bakhmout-Nouvelle pourra être une « ville sortie du sol, mais qui va utiliser de la matière première qui ne vienne pas de trop de loin pour éviter une construction trop carbonée ». A Marioupol, conquise depuis plusieurs mois, la problématique est autre : les Russes y ont déjà dévoilé quelques logements flambant neufs à l’occasion d’une visite de Vladimir Poutine le 18 mars, mais sont aussi soupçonnés de raser des bâtiments pour masquer des crimes de guerre.

Dans tous les cas, il ne faut pas s’attendre à voir une ville complètement différente émerger à la place de l’ancienne. Ce n’est même pas souhaitable, car « les gens ont besoin de retrouver des repères, tout en se projetant dans l’avenir », explique l’architecte. Dernier enjeu, la nécessité de financer ces réparations : début juillet 2022, le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal évaluait déjà à 750 milliards de dollars le coût de la reconstruction du pays. Autant dire que « l’ambition architecturale » ne sera probablement dans la liste des critères.

Comment allier la mémoire de la guerre et la nécessité de rebâtir ?

« C’est une question sensible et délicate », pose Christine Leconte. Entre un patrimoine balafré, des mémoires marquées et la volonté de tourner la page, « on a parfois du mal à panser les blessures » lors de la reconstruction. Le patrimoine devient ainsi un élément central de la réappropriation de son identité par la ville. « Si on a la documentation, on est capacité de reconstruire à l’identique le théâtre de Marioupol », dont le bombardement avait été une image forte du début de la guerre. « On peut redonner ces symboles qui permettent de s’orienter », insiste l’architecte. A condition que les Ukrainiens reprennent la ville, naturellement.

Si le patrimoine permet de réancrer la ville dans son histoire, il faut aussi « des symboles pour aller vers le futur ». Des monuments aux morts à l’exemple monumental de l’anneau de la Mémoire, il y a « besoin de ces lieux de recueillement, qui inspirent pour l’avenir », selon Christine Leconte. Sans forcément « laisser de trou béant », comme celui aménagé sur le site du World Trade Center pour les attentats du 11-Septembre. Dans ces villes martyres, il faut trouver la place pour « la mémoire des hommes tout en ayant un cadre de vie pour les habitants ».

Source: 20 Minutes