Cannes 2023 : " La Chimère ", la belle odyssée des pilleurs de tombes sacrées d’Alice Rohrwacher

May 26, 2023
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« La Chimère », d’Alice Rohrwacher.

SÉLECTION OFFICIELLE - COMPÉTITION

Heureux comme un festivalier découvrant La Chimère, d’Alice Rohrwacher, cinéaste italienne née en 1981. En sortant de la projection de ce film de bande et de contrebande, peuplé de pilleurs de tombes (tombolari) étrusques, on retient deux ou trois choses qui rendent l’expérience prodigieuse : tout d’abord l’image, signée par la directrice de la photographie Hélène Louvart, le grain du 35 millimètres scrutant les fresques italiennes dans un clair-obscur, le Super 16 et le 16 millimètres transportant le spectateur dans le conte. La narration ensuite, qui sonde au-delà des dialogues, expérimente un langage muet et puise dans les chansons, interprétées par les comédiens, quelques éclairages sur la vie d’Arthur (Josh O’Connor).

Celui-ci est un mystérieux anglais, trentenaire, qui a le don de détecter le « vide » sous terre, avec ses potentielles galeries antiques, remplies de trésors (vases étrusques, etc). On le découvre dans le train, visage peu avenant, après un séjour en prison. Il arrive dans sa petite ville du bord de la mer Tyrrhénienne et retrouve à contrecœur ses copains de braquage, avec lesquels il reprend ses activités nocturnes. Profanant le sacré, ces hommes prennent le risque de s’enfoncer sous plusieurs mètres, dans l’espoir de trouver quelques pépites au milieu des ossements. Revendant leurs butins à des receleurs, ils échappent ainsi à une morne vie de travail, du moins l’espèrent-ils.

La réalisatrice et scénariste toscane clôt, avec ce film, une trilogie en forme de conte rural commencée avec ses deux précédents longs-métrages, lesquels concouraient déjà pour la Palme d’or – Les Merveilles (2014) et Heureux comme Lazzaro (2018), lequel obtint le Prix du scénario. La Chimère traverse plein de reliefs, le comique romanesque, la démesure, la mélancolie d’un amour révolu. La première image du film nous l’apprend : un écran noir, qui soudain laisse entrer la lumière, imprime le visage d’une jeune femme, puis le chasse comme on éteint une bougie.

Des plans fugitifs

Cette absence de l’être aimé déroule un fil rouge, au propre et au figuré, auquel Arthur se raccroche pour tenir. Mi-bandit, mi-ethnologue, le jeune homme sensible, autant fasciné par les âmes du passé que par l’argent facile, ne sait que faire de ce don qui lui est tombé du ciel.

Accélérant parfois l’image, déplaçant le regard du spectateur dans des plans fugitifs, Alice Rohrwacher renoue avec la liberté formelle de son premier long-métrage, Corpo Celeste (2011), tout en tissant les fils d’une gigantesque arnaque aux antiquités, où les tombolari risquent cher. La chimère, c’est ce rêve que l’on essaie d’atteindre sans toujours parvenir à le saisir.

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Source: Le Monde