" Elle va avec tout "… Indémodable et intemporelle, la marinière a toujours une grosse hype

May 27, 2023
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Personne ne peut rivaliser. A part le jean, peut-être. Depuis son apparition sur les épaules des marins français en 1858 sous le nom de « tricot », la marinière n’a pas pris une ride. Qu’elles soient arborées par Kate Middleton, Jean-Paul Gaultier ou le serveur saisonnier d’une crêperie du Finistère Nord, les rayures de la marinière donnent toujours du style à celle ou celui qui les porte. Tantôt chic, tantôt décontracté, cet incontournable de la mode réussit là où tous ses amis ont échoué : la marinière est indémodable et semble prête à le rester. Emblème de la Bretagne, elle a su conquérir le monde, s’imposant comme l’un des symboles de la mode à la française. A l’occasion de la fête de la Bretagne, 20 Minutes a choisi de s’attarder sur ce vêtement pas comme les autres qui incarne mieux que quiconque le charme à la française, tout en cultivant un paradoxe déroutant. Aujourd’hui, à peine 4 % des marinières vendues en France sont fabriquées au pays. Le reste des rayures a souvent traversé les océans avant de parvenir sur les rayons des enseignes de prêt-à-porter.

« Un vêtement intemporel qui se porte à tous les âges »

Pour mieux comprendre la hype autour de la marinière, nous avons commencé par interroger plusieurs adeptes de la rayure. Et il est un argument qui revient indéfectiblement. « Elle va avec tout !, nous explique Maryne. Un jean clair ou foncé, un pantalon noir ou blanc. J’ai même essayé avec un pantalon rouge une fois. » La jeune adepte en possède plusieurs dans son armoire et assume en porter « une fois par semaine ». Caroline partage le même avis. Installée à Lyon, la jeune quadra a tenté toutes les versions, de la manche courte aux couleurs. « On peut l’assortir avec tout et c’est bien pratique. C’est un vêtement intemporel qui se porte à tous les âges de la vie », explique-t-elle. Sa préférée ? « Celle héritée de ma maman. Un pull blanc avec rayures noires et boutons sur l’épaule de la marque Armor Lux. Malgré les années, les couleurs ne sont jamais passées ».

Si la marinière est si chouette, c’est aussi parce qu’elle est mixte. Pour prendre le métro, aller au boulot, faire du bateau ou boire l’apéro, les hommes sont aussi de grands adeptes de la rayure. Depuis qu’il est arrivé en Bretagne en 2021, Jean n’a eu d’autre choix que d’adopter la tenue locale : « je trouve ça pratique, ni trop chaud, ni pas assez et ça me va plutôt bien. C’est assez habillé pour le boulot sans être trop formel ». Dans le Finistère, Jean en voit beaucoup. Mais il en croise aussi beaucoup ailleurs sur les épaules « des jeunes urbains CSP + ». « Des bobos quoi », glisse-t-il avec un trait d’humour.

A son origine, la marinière était pourtant loin d’être une pièce de mode grand public et se portait d’abord comme un uniforme. S’inspirant de l’armée russe, la marine nationale française avait imaginé ce textile fait de 21 rayures blanches deux fois plus larges que les 20 à 21 rayures indigo. Un rythme plus classe que les uniformes des prisonniers. Une légende raconte qu’elles représentent le nombre de victoires de Napoléon. Une seconde évoque la visibilité du motif, facilement repérable en cas de chute en mer. Une autre avance le prix élevé de la teinte indigo, qui aurait poussé la Marine à en économiser quelques pots. « Aujourd’hui, elle reste encore très associée à la mer, à la voile mais aussi aux vacances. Elle a traversé les époques. On ne l’associe pas vraiment à une génération », analyse Gladys Hermon, styliste et chargée événementielle à l’école Esmod de Rennes.

Picasso, Bardot et Coco Chanel

Si la marinière a connu une telle ascension, c’est aussi grâce à la panoplie de célébrités qui l’ont affichée. « Elle s’est démocratisée quand Coco Chanel l’a portée à Deauville en 1916. Elle a pris des airs de noblesse et on l’a rapidement vue au cinéma », poursuit la styliste rennaise. En enfilant des rayures, Pablo Picasso, le mime Marceau, Audrey Hepburn ou encore Brigitte Bardot les ont propulsées au sommet. Les créateurs comme Yves Saint Laurent ou Jean-Paul Gaultier en feront également un véritable emblème, hissant l’uniforme dans les plus hautes sphères de la mode mondiale. « C’est devenu l’image de l’élégance à la française mais en même temps ça va à tout le monde. Les marques ont su la revisiter pour la rendre indémodable », estime Gladys Hermon.

Jennifer Lopez, Jean-Paul Gaultier et Kate Middleton ont fait le choix des rayures et de la marinière dans un style tantôt sexy, tantôt habillé ou décontracté. - D. Hilman/Sipa - L. Robayo/AFP - D. Bebber/AFP

Si elle a toujours la cote au XXIe siècle, la marinière n’a cependant pas été épargnée par le phénomène de délocalisation. Longtemps fabriquée en France, elle a dû se plier au diktat d’un marché mondial pour être majoritairement conçue en Asie pour les marques de prêt-à-porter, plongeant les ateliers français dans la crise. On estime que seulement 4 % des pièces vendues en France sont fabriquées sur place. Le regain de forme du « made in France » a cependant permis à quelques marques emblématiques de se refaire la cerise avec des marinières de qualité. « Les gens sont en recherche d’authenticité, de savoir-faire. Ils savent qu’ils investissent dans quelque chose qui va durer dans le temps, qui va résister », estime Luc Lesénécal, PDG de Saint-James.

« On a su la faire évoluer mais sans la travestir »

Implantée dans la Manche, à quelques kilomètres de la Bretagne, la marque fait travailler 300 personnes, dont 260 uniquement sur la production. Chahutée, elle a su tenir bon pendant les mauvaises années et a pu compter sur l’export pour se sauver. En 2022, 40 % des 60 millions d’euros de chiffre d’affaires (+12 %) ont été réalisés à l’étranger, notamment vers le Japon, la Chine et l’Amérique du Nord. « On a su la faire évoluer mais sans la travestir. On a osé remettre de la couleur pour s’adresser à une clientèle plus jeune. En ce moment, c’est le jaune qui cartonne ! », poursuit le PDG normand.

L'actrice française Arletty, ici photographiée à Belle-Ile, avait adopté la marinière dès les années 50. - AFP

Le Japon a aussi « sauvé » Le Minor, comme aime à le rappeler son patron. Installé à Guidel, dans le Morbihan, l’atelier sort chaque année 100.000 marinières qui partent en majorité à l’étranger. Reprise en 2018 par le fondateur de la marque de nœuds papillon et bonnets Le Flageolet, l’entreprise bretonne affiche un net regain de forme sur le marché français qui l’avait pourtant longtemps boudée. « A part le jean, je ne vois aucun autre vêtement qui ait aussi bien traversé le temps. La marinière passe avec tout mais elle a aussi une identité forte. Elle ne passe pas inaperçue, on vous remarque. C’est un vêtement rock’n’roll chargé d’histoire », avance Sylvain Le Flet. Le directeur de la société espère capitaliser sur le ralentissement de la consommation de masse pour attirer de nouveaux adeptes en séduisant des clients intéressés par la longévité : « on ne peut plus se permettre d’acheter un tee-shirt toutes les semaines. Le vêtement n’est pas un consommable jetable, c’est quelque chose qu’il faut bien traiter et entretenir. » Capable de résister au gros temps en mer, la marinière s’affiche comme un élément robuste, fait pour durer et endurer.

Reste un problème de taille : le prix. Vendue 80 euros (et 180 euros pour le pull), la marinière fabriquée en France ne pourra jamais s’aligner sur les concurrents de Taïwan ou du Bangladesh vendus 20 euros chez H & M ou Zara. Un prix élevé qui s’explique par le temps et le savoir-faire nécessaires pour la conception de ce produit taillé pour durer. Pour fabriquer un pull Saint-James, « il faut 21 kilomètres de fil tricoté et 18 paires de mains expertes », rappelle son PDG. Vous y penserez la prochaine fois que vous enfilerez vos rayures. Avouez que vous en avez déjà envie.

Source: 20 Minutes