Au Guatemala, les évictions multiples des favoris à la présidentielle sèment le trouble

May 27, 2023
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CarlosPineda, à son arrivée à la Cour constitutionnel du Guatemala, le 20 mai 2023, à Guatemala. MOISES CASTILLO / AP

La liste des prétendants sérieux au pouvoir ne cesse de diminuer au Guatemala. A un mois du premier tour de l’élection présidentielle, le dernier écarté de la course est Carlos Pineda (droite), dont la candidature a été « suspendue », vendredi 26 mai, par la justice et le Tribunal supérieur électoral (TSE) à la demande d’un parti concurrent qui a invoqué des irrégularités dans la procédure.

« La corruption a gagné, Guatemala a perdu », a commenté sur son compte Twitter celui qui était le favori des sondages, après l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a considéré son recours « sans objet ». Cet arrêt devrait devenir définitif dans les prochains jours. Le candidat évincé s’est joint ensuite à des dizaines de ses partisans qui manifestaient devant le siège de la Cour.

L’homme d’affaires de 51 ans était placé en tête dans le dernier sondage publié par le quotidien Prensa Libre, avec 23,1 % des intentions de vote, devant la sociale-démocrate et ex-première dame de 67 ans Sandra Torres (19,5 %), l’ancien fonctionnaire de l’ONU Edmond Mulet, 72 ans (centre, 10,1 %), et Zury Rios, la fille d’un ancien dictateur âgée de 55 ans (droite conservatrice, 9,2 %).

Au total, vingt-deux candidats restent en lice pour l’élection présidentielle. Ce nombre, habituel au Guatemala, empêche virtuellement toute chance d’élection dès le premier tour, le 25 juin, puisque le vainqueur doit obtenir plus de la moitié des suffrages. Le second tour est programmé pour le 20 août.

Des candidats cooptés par les élites dirigeantes

Avant M. Pineda, le TSE avait déjà éliminé deux candidats sérieux : Thelma Cabrera (gauche, 52 ans), issue des peuples autochtones mayas qui constituent au moins 40 % de la population, et Roberto Arzu (droite, 53 ans), fils de l’ancien président Alvaro Arzu, au pouvoir de 1996 à 2000.

« Malheureusement, nous ne sommes pas assez nombreux pour changer le cours de ce pays », a déploré sur Twitter M. Pineda, qui a remercié ses soutiens et les a encouragés à se « battre, à participer et à [s’]impliquer dans les problèmes de la nation ».

Les 9,3 millions d’électeurs guatémaltèques seront appelés à désigner, pour un mandat unique de quatre ans, le successeur du président de droite, Alejandro Giammattei, âgé de 67 ans. Celui-ci, qui avait promis lors de son élection de « ne pas être un fils de pute de plus », quitte sa fonction avec 75 % d’opinions défavorables, selon un autre sondage publié par Prensa Libre.

Pour les analystes et les personnalités évincées, il ne fait aucun doute que la « fraude » ne réside pas dans la manipulation des résultats du scrutin, mais consiste à imposer des candidats cooptés par les élites dirigeantes. L’éviction de candidats par la justice met « en danger (…) l’Etat de droit, la démocratie, les garanties et les libertés de toute la population », dénonce, auprès de l’Agence France-Presse (AFP), Edie Cux, le directeur d’Action citoyenne, déclinaison locale de l’ONG anticorruption Transparency International. « Il y a un schéma préconçu pour [désigner] les candidats, en écartant ceux qui sont gênants et en gardant ceux qui ont les faveurs du système », explique-t-il.

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L’Etat utilise « la structure judiciaire » pour commettre une nouvelle forme de « fraude électorale » par l’exclusion de candidats, renchérit Jordan Rodas. Lui-même, qui se présentait à la vice-présidence de Mme Cabrera, a été écarté en raison d’accusations de corruption et tous ses recours en appel ont été rejetés.

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« On voit le président bouger ses pions »

Pour de nombreux analystes, le pays vit un recul démocratique depuis qu’il a été mis fin de manière anticipée en 2019 à la mission onusienne anticorruption CICIG, sur ordre du précédent président Jimmy Morales (2016-2020), qui était lui-même dans son collimateur. La CICIG avait mis au jour de retentissantes affaires de corruption, menant même à la démission en 2015 du président Otto Pérez. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Giammattei, plusieurs procureurs anticorruption qui avaient travaillé avec la mission onusienne ont été arrêtés.

Vendredi, c’est l’ancien chef du parquet anticorruption, Stuardo Campos, qui a été interpellé. Il a dénoncé une accusation « fallacieuse » pour un présumé « abus d’autorité ». Le magistrat rejoint ainsi les autres procureurs poursuivis après avoir combattu la corruption dans ce pays d’Amérique centrale.

Le parquet est placé sous l’autorité de la procureure générale, Consuelo Porras, une proche du président Giammattei, elle-même inscrite par les Etats-Unis sur une liste de personnalités corrompues. M. Campos avait été destitué en 2021 de son poste par Mme Porras, et nommé au parquet chargé de la répression du trafic illégal de migrants, ce qui avait soulevé de nombreuses critiques.

L’an dernier, l’ancienne cheffe du parquet spécial contre l’impunité (FECI, anticorruption) dans le département de Quetzaltenango (ouest), Virgina Laparra, a été condamnée à quatre ans de prison. L’ancien chef au niveau national de la FECI, Juan Francisco Sandoval, qui avait ouvert une enquête pour corruption contre le président Giammattei, s’est enfui aux Etats-Unis pour échapper aux poursuites engagées contre lui après sa destitution en 2021.

La « dictature d’un groupe [soudé] par des intérêts économiques, de corruption et même de crime organisé » impose ses vues, selon l’ancien rapporteur des Nations unies pour la liberté d’expression, Frank La Rue. Il décrit une scène politique où « l’on voit le metteur en scène, le président, bouger ses pions. Mais ce que l’on ne voit pas c’est qui écrit le scénario et qui finance la pièce de théâtre ».

Malheur à celui qui tente de percer les secrets du pouvoir : José Ruben Zamora, le directeur fondateur du journal El Periodico, qui a publié de nombreuses enquêtes sur des affaires de corruption, est accusé de blanchiment d’argent et de chantage. Emprisonné depuis le 29 juillet 2022, il encourt une peine de six à vingt ans de prison et son journal a été contraint à la fermeture.

Le Monde avec AFP

Source: Le Monde