“C’est Barbarella avec la gueule de bois que vous voyez à l’écran !” : à Cannes, un rendez-vous mordant avec Jane Fonda

May 27, 2023
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L’actrice et activiste était au Festival de Cannes pour un “rendez-vous” avec le public. Devant une assemblée jeune, elle est revenue sur ses rôles phares, ses partenaires et ses combats pour les droits civiques et l’environnements.

Jane Fonda, 85 ans, actrice et activiste. Photo Gonzalo Fuentes / REUTERS

Par Hélène Marzolf Partage

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Elle est apparue imperiale, brushing argenté flamboyant, tailleur-pantalon d’executive woman, dans la salle Buñuel du Palais des Festivals. À presque 86 ans, Jane Fonda n’a rien perdu de son mordant, ni de sa fibre militante. Venue donner une masterclass vendredi 26 mai, l’actrice doublement oscarisée (Klute, Le Retour) a littéralement galvanisé la salle – composée, en grande partie de jeunes, avides de conseils, et venus témoigner de leur admiration. Une heure et demie pendant laquelle l’actrice a assuré le show, interpellant la foule, revenant, avec acuité et humour, sur ses combats, les moments forts de son parcours et sur sa riche filmographie. Morceaux choisis.

“Cat Ballou”, d’Elliot Silverstein (1965)

Columbia

« Personne chez vous n’a vu ce film je pense ! C’est pourtant un western très drôle, qui a gagné plusieurs Oscars ! Pendant les répétitions, mon partenaire Lee Marvin s’est penché vers moi et m’a dit : “La seule raison pour laquelle la Columbia nous a embauchés, c’est qu’on est très peu payés !” J’ai adoré cette expérience parce que je montais à cheval, je tirais sur des gens. Et Lee était fabuleux. Très drôle, et toujours ivre ! On logeait au même hôtel et il fallait le porter jusqu’à sa chambre.

Cat Ballou était une fiction à petit budget et on l’a tournée très vite. Un jour, j’ai perdu une dent, et le studio n’a pas arrêté le tournage ! J’ai alors été filmée de dos… Nous avons travaillé jusqu’à 14 heures d’affilée. Lee m’a alors prise à part et m’a expliqué : “Fonda : on est les stars de ce film. Si on autorise ça, ce n’est pas nous qui en souffrirons le plus mais l’équipe ! Nous devons la défendre”. Ça ne m’était pas venu à l’esprit mais il m’a a donné une leçon importante. C’était un grand acteur, et un être humain magnifique. »

Robert Redford

Robert Redfort et Jane Fonda, photo promotionnelle pour « Pieds nus dans le parc », de Gena Saks, 1967. Photo Silver Screen Collection / Getty Images

« J’étais amoureuse de lui ! J’ai tourné quatre films à ses côtés. Dans trois d’entre eux je jouais l’amoureuse, du coup je me suis régalée ! Mais il n’aimait pas embrasser. Je n’ai jamais osé lui demander pourquoi. Il était toujours de mauvaise humeur et je pensais que c’était de ma faute… Mais il avait aussi un bon sens de l’humour. Le dernier film qu’on a fait ensemble date d’il y a six ans (Nos âmes la nuit, de Ritesh Batra). J’avais dans les 80 ans, et j’ai pu constater que j’avais enfin mûri ! Quand il arrivait sur le plateau, bougon, avec trois heures de retard, j’ai compris que je n’étais pas responsable. On a toujours passé du bon temps ensemble, il aimait bien faire des blagues. C’est vraiment quelqu’un de bien, il a juste un problème avec les femmes… »

“Barbarella”, de Roger Vadim (1968)

Marianne - De Laurentiis

« Je n’aimais pas le film au moment du tournage, mais aujourd’hui, quand je le revois, je le trouve amusant. Il est inhabituel, et personne n’avait tourné comme ça ! Dans une scène, un ange aveugle me porte dans ses bras. Il fallait voler devant un écran vert, avec des corsets de métal entre les jambes. Pendre dans les airs, avec tout le poids de ce métal… John Philip Law et moi pensions que nous deviendrons stériles à tout jamais ! Le jour suivant on a regardé les rushes de ces prises, et on s’est rendu compte qu’on volait en arrière. Le technicien n’avait pas tout compris.

Dans l’introduction, je fais un strip-tease dans l’espace, et je finis totalement nue. Vadim m’avait promis que mon corps serait couvert par le générique de début, mais ça n’a pas été le cas. J’étais très timide, croyez le ou non, et pour tourner cette scène, il fallait que je sois ivre. J’ai donc bu beaucoup de vodka ! En revoyant les rushes, on a réalisé qu’une chauve-souris volait entre la caméra et moi. Et j’ai dû refaire la scène avec la gueule de bois ! Ce que vous voyez à l’écran, c’est donc Barbarella avec la gueule de bois ! »

“La Curée”, de Roger Vadim (1966)

Marceau-Cocinor

« L’une des raisons pour laquelle ce film compte beaucoup pour moi, est que ma mère s’est suicidée quand j’étais très jeune. Et dans ce film, j’essaie de me tuer. Cette expérience a été très importante : j’ai eu le sentiment qu’elle me permettait de me rapprocher de ma mère. »

“Klute”, d’Alan J. Pakula (1971)

Warner Bros

« Avant le début du tournage, j’ai passé une semaine avec des prostituées et une mère maquerelle. Pendant tout ce temps, pas un homme ne m’a regardée ou demandée de coucher avec lui. J’ai alors dit à Pakula : “Je suis désolée, laissez-moi partir et engagez Faye Dunaway, elle sera bien meilleure !” Il a rigolé. J’ai alors repensé aux filles de Madame Claude, que j’avais rencontrées en France. Des femmes intelligentes, qui auraient pu faire bien d’autres choses que vendre leur corps. Mais toutes avaient été abusées dans l’enfance… J’ai construit mon rôle à partir de l’une d’elles.

À la fin du film, je suis confrontée au tueur. Je n’avais rien préparé. Quelque temps avant, je n’étais rendue dans une morgue où l’on m’avait montré des photos de centaines de femmes battues à mort, et cela m’avait horrifiée. En tournant la scène, j’ai repensé à toutes les femmes tuées par les hommes, et j’ai commencé à pleurer. Ce qui était intéressant, c’est que je ne pleurais pas de peur, mais de tristesse. Une moitié de moi était là, dans le rôle, sachant que se tenait face à moi l’homme qui allait me tuer. Et l’autre moitié se disait : “Putain, je deviens féministe !”»

L’activisme

Jane Fonda à un meeting pour la paix au Vietnam, à New York le 31 mai 1970. Photo Keystone-France / Gamma-Keystone via Getty Images

« Je suis devenue militante en 1970, à cause de la guerre du Vietnam. Je venais de finir Barbarella et je vivais avec Vadim à Paris, où j’ai rencontré des soldats américains qui avaient déserté. Lorsqu’ils m’ont raconté ce qui se passait réellement au Vietnam, je n’arrivais pas à le croire. L’un d’eux m’a donné le livre de Jonathan Schell, Le village de Ben Suc. L’avoir lu m’a changée. J’ai su que j’allais devoir partir, retourner aux États-Unis, parce que je ne pouvais pas être antiguerre tout en restant en France. C’est comme ça que j’ai commencé à militer.

Je suis allée par exemple à Detroit pour rencontrer des organisations de travailleurs, comprendre comment ils luttaient. Quelles que soient les personnes avec qui je me retrouvais, je sentais que ma célébrité me tenait à l’écart. À un moment je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de tourner. Et j’ai rencontré l’avocat communiste Ken Cockrel, qui était président de la ligue des travailleurs noirs révolutionnaires. Je lui ai expliqué que je ne voulais plus être actrice. Il m’a dit : « Le mouvement a plein de porte-paroles, mais pas de stars de ciné. Tu ne dois pas arrêter le cinéma, mais choisis mieux tes rôles. Fais des films qui comptent ! »

“Le retour”, d’Hal Ashby (1978)

Jon Voight et Jane Fonda dans « Le Retour ». Jayne Productions

« J’ai fondé en 1977 la compagnie de production IPC (Indochina Peace campaign) et Le Retour a été mon premier projet. J’avais passé trois ans à interviewer des soldats américains de retour du Vietnam, et je ressentais profondément ce qu’ils avaient enduré, ainsi que leurs femmes.. Toutes ces expériences sont devenues la matière du film de Hal Hasby. Ensuite est venu Le Syndrome chinois sur des dangers de l’énergie nucléaire… »

“La maison du Lac”, de Mark Rydell (1978)

Jane Fonda, Henry Fonda et Katharine Hepburn dans « La maison du Lac ». Photo John Springer Collection / Corbis via Getty Images

« Mon père était à l’époque très malade. Je savais qu’il n’allait pas vivre encore très longtemps, et je ne voulais pas qu’il meure avant que nous ayons travaillé ensemble. J’avais vu la pièce La Maison du Lac, et j’ai décidé d’en acheter les droits. On n’avait même pas commencé à réfléchir au rôle d’Ethel qu’un jour, mon téléphone sonne : « Allo ! Vous faites un film ! » C’était Katharine Hepburn. Elle m’a dit : « Ne tournez pas dans le Maine, les arbres ne vont pas prendre des couleurs d’automne. Il faut tourner dans le New Hampshire… » Elle nous expliquait comment travailler ! J’ai fait le film pour mon père, mais la personne dont j’ai le plus appris le plus, sur ce tournage, est Katharine. Pourtant elle ne m’aimait pas. Nous avons été tous trois nominés pour l’Oscar, moi comme second rôle, et mon père et elle pour meilleurs acteurs et actrice. Je n’ai pas gagné, mais eux si ! Et j’ai appelé Katharine pour la féliciter. Et elle m’a dit : « Tu ne me rattraperas jamais ! » Elle était si compétitive ! »

Être actrice aujourd’hui

Rita Moreno, Jane Fonda, Lily Tomlin et Sally Field dans le film « Tom Brady à tout prix ». Paramount Pictures

« Je suis toujours étonnée qu’on me propose du travail. J’ai tourné deux films en un an, à chaque fois avec des femmes âgées : Eighty for Brady, (Rita Moreno, Sally Field et Lily Tomlin), et Bookclub 2 (Candice Bergen, Diane Keaton, Mary Steenburger). Je ne sais pas ce que je vais faire après, je sais juste que je ne tournerai plus de films qui ne représentent pas un défi. Et pour l’instant je suis trop occupée avec la crise climatique ! »

La planète

« Si l’on ne progresse pas sur le sujet du climat aux États-Unis, c’est parce qu’une bonne partie des élus sont financés par l’industrie fossile. Démocrates comme républicains. Nous avons sept ou huit ans pour changer les choses. La crise et très sérieuse et malheureusement, ce sont les gens qui sont le moins responsables de cette crise qui en souffrent le plus. Il faut arrêter et mettre en prison les dirigeants – tous des hommes – des sociétés gazières, pétrolières. Il faut comprendre que cette crise n’existerait pas s’il n’y avait pas de racisme ni de patriarcat. C’est cela que j’ai appris depuis la guerre du Vietnam : lorsqu’on creuse un problème, on réalise qu’il est connecté aux autres. Lutter pour le climat sans s’occuper des autres causes est une erreur qui va tous nous mettre dans le pétrin ! »

Rendez-vous avec Jane Fonda, le 26 mai 2023 au Festival de Cannes. Photo Valery Hache / AFP

Le relais

« Quel message pour les jeunes générations d’activistes ? Il ne s’agit pas seulement de protester mais de prendre le pouvoir. Et pour cela, il faut des leaders. Il faut aussi s’assurer de ne pas créer un mouvement qui exclut qui que ce soit, et avoir la volonté de parler aux gens qui ne sont pas d’accord avec vous. Avant le Covid, j’ai passé beaucoup de temps à faire du porte-à-porte auprès de communautés qui soutiennent Trump. Écouter ceux qui ne sont pas du même avis que vous est crucial, même si c’est difficile. Les mauvais comportements sont le langage de ceux qui sont traumatisés. On peut haïr les comportements mais pas les traumatismes ! »

Source: Télérama.fr