Apéro : Comment le spritz est passé d’effet de mode à cocktail bien installé ?
2016. La France estivale ne vibre qu’autour de deux passions : Antoine Griezmann et le rosé pamplemousse. Si le premier nous a encore régalés d’une master class à la Coupe du monde 2022 (sauf en finale), le vin fruité a depuis longtemps déserté nos apéros, relégué au rang de mode éphémère un peu honteuse façon Tecktonik alcoolisé. C’est peu dire qu’on prévoyait à peu près le même sort funeste au spritz, auteur lui aussi d’une hype un an plus tôt.
De 10.000 litres vendus en France 2011, la boisson italienne passait à 750.000 litres en 2015. Depuis, le breuvage n’a jamais perdu cette réputation d’effet de mode ou de tendance du moment. Mais nous voilà déjà en 2023, huit ans après la spritz-mania, et l’Aperol, loin d’avoir disparu, continue de colorer les terrasses l’été.
Autopsie du spritz
Que vous en raffoliez ou non - au sein de la rédaction de 20 Minutes, on sait que le sujet divise - autant vous y faire : le bougre semble parti pour durer. En 2023, il a même fait son entrée dans le top 10 des cocktails les plus bus du pays, selon une étude des experts de la consommation hors domicile CGA avec le panéliste Nielsen. Une pérennité qui n’a rien de surprenant quand on se lance dans l’autopsie du spritz, qui possède pas mal d’éléments d’un succès durable.
One, two, spritz, le tube de l'été qui dure dans le temps. - Canva
« Le cocktail pétillant a toujours bien fonctionné en France », note en premier lieu Clémentine Hugol-Gential, professeure et spécialiste des enjeux contemporains de l’alimentation à l’université de Bourgogne. 18 % des Français apprécient ce genre de mélange, contre seulement 9 % des Espagnols par exemple, indique Julien Veyron, directeur des solutions Client chez CGA-France. Autre succès bien connu pour Clémentine Hugol-Gential : le goût amer, véritable hype actuelle - on l’avait déjà abordé pour le chocolat ou la bière IPA.
Le pouvoir des terrasses
Pour vanter la boisson orangée, difficile de rivaliser avec la verve de Sylvain Greiner, directeur des opérations d’Eataly, temple de la gastronomie italienne à Paris. « Le spritz est parfaitement adapté à la consommation actuelle de la jeunesse : légère et en terrasse. Ce n’est pas un cocktail qui assomme ou qu’on va prendre en boîte de nuit, comme peut l’être le mojito. On peut prendre un spritz et être bien après, ce qui permet d’en prendre un deuxième et de faire durer le moment », d’autant que le spiritueux est souvent moins cher qu’un cocktail classique - et plus volumineux. On en revient au plaisir de flâner des heures en terrasses version Dolce Vita. « Le spritz a un rapport plaisir/prix imbattable ! », s’enthousiasme Sylvain Grenier. En haute saison, cette boisson représente à elle seule 20 % des consommations alcoolisées de son établissement.
C’est qu’il suffit de d’un grain de soleil pour voir fleurir les verres orange. Et justement, l’aspect très coloré explique aussi son succès. « Elle marque l’œil, est très instagrammable et attire la curiosité. Un spritz, ça se repère », note Clémentine Hugol-Gential. Ça tombe bien, selon l’étude de CGA-Nielsen, l’image du cocktail peut motiver le choix d’une boisson lors des sorties pour 30 % des consommateurs. « On retrouve un peu cet aspect dans le Moscow mule, avec un verre en métal qui détonnait dans les bars », remémore Sylvain Greinier.
Des couleurs et de la ville
La curiosité sur cette nouvelle boisson colorée a été le cœur de la stratégie de Campari, marque incontournable du retour en force de la boisson vénitienne. La technique est rodée, et désormais bien renseigné : lancer le spritz dans les bars les plus branchés d’un centre-ville, attendre que la hype monte dans les autres quartiers, puis l’étendre à toute la commune. Pas étonnant que le profil type de l’aficionado du spritz soit un jeune urbain entre 18 et 35 ans avec un revenu légèrement supérieur à la moyenne, selon Julien Veyron : « Ce sont des individus bien décidés à consommer dehors et à se faire plaisir. » Autre force du cocktail pour s’installer dans le temps : il est unisexe. Comptez 55 % de consommatrices femmes, et 45 % d’hommes.
La folie des terrasses et de la consommation hors domicile - le CHR (café, hôtel, restaurant) - booste l’ensemble des cocktails, développe l’expert : « La bière n’a pas regagné ses volumes de 2019, là où les cocktails et les spiritueux ont dépassé leur performance prépandémie. » Les ventes CHR sont portées par la jeunesse depuis la crise du Covid-19, moins adeptes de pintes.
Le cocktail « le plus simple au monde »
Ce satané coronavirus, on y revient toujours. « Il peut expliquer en partie le succès du spritz », estime même Sylvain Greinier. Alors que terrasses et bars étaient mis sur pause, « le spritz reste le cocktail le plus simple au monde à réaliser chez soi ». Mélangez trois ingrédients - à des prix abordables - et le tour est joué (pour les deux du fond qui ne suivent pas : une tranche d’orange, de l’Aperol, du prosecco et de l’eau pétillante)*.
Reste que la pandémie semble désormais loin, et que ce mois de mai bien tristoune niveau météo jusque-là vient enfin de se rappeler qu’il avait le droit d’avoir un ciel bleu éclatant et un soleil vif. Le spritz s’apprête à déferler sur un nouvel été, le neuvième consécutif. Il suffit de voir les cartes des bars pour s’en convaincre, la boisson a maintenant toute sa place au côté des mojitos et autres darons du cocktails-game. « Tout comme le mojito d’ailleurs, le spritz a désormais des cartes entièrement à lui, où il se décline sous diverses versions : l’Aperol classique, le Saint-Germain, le Limoncello… », liste Julien Veyron. « Et puis, le rosé pamplemousse, c’était vraiment dégueulasse », estime Louise, qui sirote son spritz en terrasse. On aurait peut-être dû commencer par là.
*On vous rappelle que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Source: 20 Minutes