Le Sénégal dans l’attente du verdict de l’affaire Ousmane Sonko

June 01, 2023
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A Dakar, le 29 mai 2023, après que l’opposant Ousmane Sonko, principal opposant au président Macky Sall, a été ramené de force à Dakar pour comparaître à l’énoncé du verdict de son procès pour viols sur la personne d’Adji Sarr. JOHN WESSELS / AFP

Toutes les rues menant au domicile de l’opposant Ousmane Sonko à Dakar sont fermées par des barrières rouge et blanche, gardées par les forces de l’ordre. Autour, la vie suit plus ou moins son cours dans le quartier Cité Keur Gorgui malgré les tensions palpables. A chaque croisement, des pick-up sont garés et des policiers arrêtent les motos, interdites de circulation jusqu’au jeudi 1er juin au soir « pour des raisons de sécurité ».

Ici, comme partout ailleurs dans la capitale, tout le monde attend le délibéré du procès d’Ousmane Sonko, accusé de viols répétés sur la personne d’Adji Sarr, une ancienne employée d’un salon de massage, qui doit être prononcé dans la journée de jeudi. Le 24 mai, le procureur a requis dix ans de prison ferme pour viols ou cinq ans pour corruption de jeunesse contre l’opposant.

Ousmane Sonko, qui était reclus, au moment de son procès, dans son fief de Ziguinchor, la ville du sud du pays dont il est maire, a depuis été « ramené de force » chez lui à Dakar dimanche. Celui qui est candidat déclaré à la présidentielle de 2024 dénonce un complot pour le condamner et l’écarter du jeu politique. « Nous n’accepterons pas une condamnation dans un dossier vide », lance le député de l’opposition Guy Marius Sagna, pour qui l’objectif est qu’« Ousmane Sonko récupère ses droits ».

« Les gens sont fatigués »

Depuis plusieurs jours, des échauffourées éclatent de façon éparse dans la capitale entre forces de l’ordre et groupes de sympathisants du leader du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Des maisons de cadres de la majorité présidentielle ont été attaquées et des pneus brûlés sur les grands axes de Dakar. Des violences que beaucoup craignent de voir s’intensifier en cas de condamnation de M. Sonko. En prévention, les cours à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar sont suspendus, ainsi que dans plusieurs écoles.

« Les jeunes sont mobilisés car M. Sonko est leur leader, ils sortent pour le défendre », comprend Awa Fall, qui vend des confiseries et des beignets à la sortie d’une école située aux abords de la résidence du leader politique. A chaque audience judiciaire des affaires concernant Ousmane Sonko, poursuivi dans deux dossiers, l’un pour viol et l’autre pour diffamation, Dakar revêt un visage de quasi ville morte et la vendeuse voit son activité en faire les frais depuis plus de deux mois.

« Beaucoup d’enfants ne viennent pas à l’école les jours de procès, car les parents ont peur. Donc ils préfèrent les garder à la maison. Ça n’arrange pas nos affaires, car ce sont eux qui achètent nos bonbons », témoigne la commerçante, mère de famille, qui travaille ici depuis cinq ans. « Les gens sont fatigués. »

Un peu plus loin, Moustapha Gueye, 34 ans, vend sur son étal des stylos, des calculatrices et des livres scolaires. Ses produits ont déjà été détruits au moment d’une des audiences de M. Sonko pour diffamation. « Depuis deux ans, j’ai perdu beaucoup de journées de travail à cause des manifestations et des affrontements. Toutes ces histoires ne nous concernent pas directement, mais ça finit par se répercuter sur la population, et surtout sur les plus pauvres qui subissent la situation », témoigne le père de trois enfants.

Tous redoutent donc cette journée de verdict, alors que la tension monte. La veille, une délégation de députés de l’opposition, menée par Guy Marius Sagna, a tenté de s’approcher de la maison d’Ousmane Sonko, sans succès. Très rapidement, ils ont été chassés par des grenades lacrymogènes et l’un d’entre eux, Birame Souley Diop qui est président du groupe parlementaire de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi, qui comprend le Pastef, a été arrêté.

« Droits élémentaires »

Un peu plus tôt dans la semaine, les avocats de M. Sonko ont essayé de se rendre à son domicile mais ils en ont été empêchés par les forces de l’ordre. « Ce sont des faits très graves. Une mesure restrictive de liberté ne peut être ordonnée que par un juge, donc elle est illégale », commente Bamba Cissé, l’un des avocats d’Ousmane Sonko. « Nous ne sommes pas tenus d’obéir à tout acte illégal. Et ce blocus autour de la maison est illégal, donc nous appelons à résister, à se battre et à se mobiliser », revendique le député Guy Marius Sagna.

Le ministère de l’intérieur refuse de son côté de parler de « blocus » et invoque une « question d’ordre public et de sécurité nationale » alors que le rôle de l’Etat est d’« assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. »

Dans ce climat politique tendu, le président Macky Sall a lancé un dialogue national mercredi, veille du verdict. « Le gouvernement prendra toutes les dispositions nécessaires pour organiser une élection paisible, démocratique, libre et transparente », a déclaré le chef de l’Etat, tout en ne levant pas le flou sur sa candidature à un troisième mandat, à moins de huit mois de l’échéance électorale. Dans son discours d’ouverture, il a rappelé son engagement à « bannir la violence physique et verbale, ainsi que les discours haineux et la stigmatisation ».

La plateforme des Forces vives de la nation F24, qui a dans sa grande majorité boycotté le dialogue national, a tenté d’organiser un « dialogue du peuple » parallèle, qui n’a pas réussi à se tenir. « Nous sommes allés dans une maison privée, le siège d’un parti, et la gendarmerie a débarqué pour dire que tout rassemblement était interdit. Ne voulant pas de confrontation, nous sommes rentrés », témoigne le coordonnateur de F24, Mamadou Mbodj, qui garde « un sentiment de frustration, d’amertume et de regrets, car nous sommes dans un pays qui se dit Etat de droit mais ne respecte pas les droits élémentaires ».

Source: Le Monde