Sénégal : les deux-roues de Dakar forcés à l'arrêt, dans l'attente du verdict de l'opposant Sonko

June 01, 2023
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Reportage

De notre correspondant à Dakar – Les motocyclettes et les cyclomoteurs sont interdits de circulation pendant 48 heures sur toute la région de Dakar, conformément à un arrêté pris par le gouverneur de Dakar. Cette mesure a été prise pour des raisons de sécurité, alors que le pays vit des tensions politiques et des violences, en marge du verdict, attendu ce jeudi 1er juin, dans le procès pour viol présumé de l'opposant Ousmane Sonko. Des mesures qui inquiètent chez les livreurs et dans les secteurs de la livraison et du e-commerce.

Les deux-roues sont à l'arrêt dans le garage de Car Rapide Prestige, l’une des entreprises pionnières de la livraison au Sénégal.

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Mercredi 31 mai, Ibrahima Cissé, casque entre les mains, a le regard vide. Assis sur le trottoir en face de l'Autopont Keur Gorgui dans le quartier Mermoz à Dakar, il espère récupérer sa moto, immobilisée par les gendarmes qui veillent à l'application de l'arrêté du gouverneur. "Cela fait huit heures que ma moto a été confisquée par les gendarmes", se désole le livreur désemparé.

"Je n'étais pas au courant de l'arrêté du gouverneur. Sinon, je ne serais pas sorti de chez moi aujourd'hui. C'est un coup dur pour moi. Je gagne ma vie grâce à ma moto et au jour le jour. Sans moto, c'est sans revenus pour la journée", poursuit le livreur.

Un lot d'une vingtaine de motos détenues par les forces de l'ordre sont regroupées ostensiblement à côté du trottoir, comme pour rappeler aux contrevenants ce qui les attendrait en cas de violation de l'arrêté.

Un parking clandestin de deux-roues immobilisés par les gendarmes © France 24 /Elimane Ndao

"Je risque de ne plus travailler cette semaine", s'inquiète Ibrahima. "Si Ousmane Sonko est emprisonné, ça risque de créer encore des tensions et l'arrêté du gouverneur serait prorogé indéfiniment. Cela ne m'arrange absolument pas", ajoute t-il.

Le quartier Cité Keur Gorgui est bouclé

Les arrêtés interdisant la circulation des motocyclettes et des cyclomoteurs ne sont pas une nouveauté. Ces dernières semaines, à chaque convocation d'Ousmane Sonko devant la justice à Dakar, la même mesure a été prise avec les mêmes motifs sécuritaires.

"On a noté que les incendies, les pneus brûlés, et les actes délictuels causés par les manifestants sont souvent l'œuvre d'hommes conduisant des motos, nous informe Maham Ka, chargé de communication du ministère de l'Intérieur. Ces motos sont plus mobiles. Ainsi, les auteurs peuvent brûler un endroit et partir sur un autre. À chaque fois qu'on maîtrise la circulation des deux-roues, on maîtrise mieux la situation."

"On ne fait que travailler et ce n'est pas interdit de travailler. On n'a pas le temps de faire autre chose. Moi je ne suis ni pro-Sonko, ni pro-Macky Sall. Nous sommes d'honnêtes citoyens", se défend Ibrahima.

L'homme d'une trentaine d'années est assis avec une dizaine d'autres livreurs et de motards dans la même situation, face à des gendarmes inflexibles, déployés en masse avec des dizaines de policiers dans le quartier Cité Keur Gorgui, qui est celui de l'opposant Ousmane Sonko. Le président du parti Pastef les patriotes est maintenu de force chez lui, tous les accès menant à son domicile bouclé par les forces de l'ordre qui empêchent toute personne étrangère au quartier de s'approcher de sa maison.

Des heurts ont éclaté dans ce quartier, le 29 mai, à la suite du déploiement des forces de l'ordre. Des manifestants ont érigé des barricades dans de grandes artères de la capitale, brûlé des pneus et calciné des voitures appartenant à trois ministres. Les tensions restent vives et les appels à manifester se multiplient sur les réseaux sociaux.

Le e-commerce paralysé

L'impact des arrêtés à répétition du gouverneur de Dakar va bien au-delà du secteur de la livraison. Le commerce en ligne subit également les contrecoups des tensions politiques. Khadija, commerçante, utilise principalement la messagerie WhatsApp pour proposer des chaussures et des sacs à ses abonnés. Elle se dit au chômage technique à chaque mesure d'interdiction de la circulation des deux roues.

"C'est une journée qui vaut zéro pour moi, déplore la commerçante. J'avais plusieurs commandes de chaussures à livrer aujourd'hui. Je suis obligé de m'excuser auprès de mes clients en leur assurant que dès que l'arrêté aura expiré, je pourrai leur transmettre leurs articles. C'est vraiment difficile pour nous, les petits commerçants."

Dans son garage qui compte une trentaine de motos en stationnement, Maguette Gueye s'efforce lui de garder le sourire. Le fondateur de l'entreprise Car Rapide Prestige, l'une des entreprises pionnière de la capitale dans le secteur de la livraison, et qui emploie jusqu'à 90 livreurs : "Une journée où on ne livre pas, c'est une journée morte où on ne travaille pas du tout. C'est une grosse perte. Ça devient de plus en plus compliqué et ça ne peut plus continuer", lâche-t-il.

Maguette Gueye, fondateur de l’entreprise Car Rapide prestige © France 24 / Elimane Ndao

Surnommé Max, le chef d'entreprise est également à la tête de l'une des nombreuses associations de livreurs de la capitale. Il prévoyait d'organiser un rassemblement de toutes les associations, mercredi 31 mai, pour parler de leur sort commun. La rencontre a finalement été annulée, en raison de l'arrêté du gouverneur.

"Nous voulons montrer aux autorités que nous sommes des personnes responsables. C'est pourquoi on respecte leurs décisions. On va reprogrammer notre rencontre après la levée de l'interdiction de la circulation des deux roues. On va se concerter pour savoir quelles solutions on va proposer à l'État pour éviter ces désagréments à répétition".

Du côté du ministère de l'Intérieur, on reconnaît à demi-mots les conséquences des arrêtés du gouverneur : "On sait que les décisions prises entraînent des impacts économiques négatifs, mais l'objectif sécuritaire est prioritaire", reconnaît le chargé de communication.

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Source: FRANCE 24