Ciblé par le rapport sur les ingérences étrangères, le Rassemblement national pris à son propre piège
Saint-Pol-sur-Ternoise, le 1ᵉʳ juin 2023. Conférence de presse pour le lancement de la campagne pour l'élection sénatoriale de Christopher Szczurek, candidat du Rassemblement national dans le Pas-de-Calais, en présence de Marine Le Pen. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Jean-Philippe Tanguy, premier mandat de député et néanmoins propulsé président délégué du groupe Rassemblement national (RN), le sait : il s’est fait avoir. A l’automne 2022, il avait réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences étrangères dans la vie politique française, avec un objectif avoué : mettre en pièces les accusations d’inféodation de Marine Le Pen à Vladimir Poutine, dont Emmanuel Macron avait usé lors de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle.
Il espérait ainsi porter le projecteur sur les tentatives d’ingérence étrangère dans le débat politique venues d’ailleurs – Etats-Unis, pays du Golfe, Chine, Maroc… – et écarter définitivement le récit fait par ses adversaires : celui de contreparties politiques imposées à Marine Le Pen en échange de l’octroi, par une banque russe, d’un prêt salvateur en 2014. Après six mois d’audition, le colis piégé est sur le point de lui exploser au visage.
Le rapport de la commission, rédigé par la rapporteuse Constance Le Grip, députée Renaissance des Hauts-de-Seine, validé avec la majorité des voix de son bureau, n’a pas la tonalité espérée. Le texte, qui a été dévoilé par Mediapart jeudi 1er juin, désigne le RN de Marine Le Pen comme une « courroie de transmission efficace » du Kremlin en France. Il s’attarde longuement sur les prises de position prorusses de Mme Le Pen, sur ses voyages répétés auprès d’officiels russes, jusqu’à Vladimir Poutine, et consacre pas moins de dix pages au prêt russe du RN – sans toutefois apporter la preuve d’un échange de services entre le parti d’extrême droite et le pouvoir russe.
« Les élus de la Nation font partie des cibles approchées par des officiers sous couverture diplomatique », écrit la rapporteuse, citant « la naïveté et la connivence » d’élus et de fonctionnaires français. Elle relève, enfin, après consultation de documents auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), que le Front national n’a, en 2014, eu besoin d’apporter aucune garantie contre l’octroi du prêt russe. Et que son rééchelonnement constitue « un avantage certain et conséquent » accordé au parti : le remboursement a été décalé de 2019 à 2028, dans un contexte de finances contraintes pour le RN.
« Je m’en veux »
« Ce rapport est à l’image de la rapporteuse, c’est-à-dire sectaire, malhonnête et tout à fait politisé », a répliqué Marine Le Pen, jeudi matin, dans l’arrière-salle d’un café de l’Artois, où elle présentait son principal espoir de victoire aux élections sénatoriales de septembre. « Ce rapport est un jugement sur les positions politiques que j’ai pu prendre. Ce n’est pas un jugement sur l’ingérence. » En privé, Jean-Philippe Tanguy utilise plutôt le mot « torchon », tout en déplorant sa propre naïveté. « J’ai présidé cette commission sans incident, on est consensuel, on accepte tout. Et à la fin, boum ! Je m’en veux. C’est mon côté un peu neuneu, naïf, que je concède. »
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Source: Le Monde