Cinq néologismes que l’on doit à Céline
«Blablater», «archicrouni»… À l’occasion de la parution du roman inédit de Céline, La Volonté du roi Krogold, Le Figaro vous invite à (re)découvrir les termes nés de sa plume.
Qui dit antihéros, dit anticonformisme. Cette opposition aux usages établis, Céline l’a fait naître sous sa plume. À travers le personnage de Ferdinand Bardamu notamment, croisé dans le Voyage, Mort à crédit, ou encore Guignol’s Band. Plus précisément, à travers sa langue. Une langue assimilée au parler populaire, émaillée de mots d’argot et de termes crus, qui tend à refléter la violence du réel. Celle-ci est également assortie de nombreuses créations verbales, exubérances littéraires, qui font de l’auteur un génie du néologisme. Florilège.
• Archicrouni
«La fouille c’est l’avanie du cœur… Un de ces déchirements, l’insulte, que crouni, archicrouni, papyrus, dans le fond de votre cercueil, vous vous soulèveriez du trou, vous éclateriez votre marbre, dresseriez», écrit Céline dans Féerie pour une autre fois (1952). Adjectif formé à partir du superlatif «archi», emprunté au langage familier des milieux cultivés, comme l’indique le Trésor de la langue française , «archicrouni» est synonyme de mort. Il doit sa forme au verbe «crounir» qui, en argot, signifie «mourir».
• Blablater
On l’emploie pour qualifier le fait d’énoncer un flot de paroles creuses, inutiles ou mensongères. Péjoratif et familier, le verbe «blablater» est issu de l’onomatopée «blabla». Cette dernière serait tirée de «blague», un mot d’origine néerlandaise qui, au XVIIIe siècle, désignait une pochette souple dans laquelle les navigateurs mettaient le tabac qu’ils portaient sur eux. Clope au bec, ceux-ci ne se fatiguaient certainement pas à parler pour ne rien dire.
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• Bouzillman
On connaissait Superman, l’icône culturelle américaine née dans les années 1930, mais bien moins son homologue célinien, Bouzillman, celui qui ravage et détruit tout sur son passage. Créé en 1957, dans D’un château l’autre, le «bouzillman» est une personne destructrice qui doit son nom au verbe «bousiller». Un verbe apparu au XVIe siècle pour désigner le fait de réaliser une mauvaise construction, puis de gâcher, dans une acception plus généraliste. Accolé au suffixe anglais «man», qui indique un professionnel, le «bouzillman» est, en quelque sorte, un spécialiste du sabotage. «Je mérite d’être traité effroyable..., ce que j’ai saccagé! Bouzillman!...»
• Enchrister
Le 6 février 1950, dans une lettre à Albert Paraz, Céline écrit: «Quittez Paris, votre place n’est pas à Paris... Cinq six jours après d’ailleurs j’étais enchristé! Beau devin!» Par «enchristé», l’auteur parle de «crucifixion», de mise en croix, telle celle du Christ au moment du supplice. Du latin «Christus», le néologisme trouve sa racine profonde dans le grec «khristos», signifiant proprement «oint».
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• Saphistique
À l’origine, un vers saphique est un vers grec ou latin comportant onze syllabes réparties en trois trochées. Par référence aux mœurs attribuées à la poétesse grecque Sapho, l’adjectif qualifie également ce qui est relatif à l’homosexualité féminine. En 1907, dans son Journal littéraire, Léautaud écrit: «La vieille dame [...] a conservé, malgré ses soixante-dix ou quatre-vingts ans, quelques restants de ses anciens goûts saphiques.» En inventant le terme «saphistique», constitué du suffixe «ique» («propre à cette chose»), Céline crée sciemment une tautologie pour désigner ce qui est relatif au lesbianisme. «C’est la méchanceté qui m’achète! La plus attachée têtue inécœurable cliente du monde! [...] De ces assassines à stylets! Grenades! Curares! Et émoustilleuses et causeuses et cavaleuses de musettes!... Grands magasins! Caves saphistiques!», lit-on dans Féerie pour une autre fois.
Source: Le Figaro