Guerre en Ukraine : Pourquoi la France est-elle si discrète sur ses livraisons d’armes ?
« La France aide beaucoup mais préfère ne pas faire de la publicité dessus, c’est la traditionnelle timidité française », a assuré l’ambassadeur d’Ukraine, Vadym Omelchenko, invité jeudi par la mairie de Neuilly dans le cadre du Cercle international de Neuilly. En comparaison à la bruyante communication britannique sur les livraisons d’armes en soutien à Kiev pour se défendre de l’agression russe, Paris semble en effet bien humble.
Mais pourquoi une telle discrétion ? Alors que le pays « se targue d’être la première armée d’Europe », comme le souligne Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste et auteur de L’Ours et le renard (Tallendier) ? « Tout simplement parce qu’on n’en envoie pas beaucoup », répond-il à 20 Minutes.
Ce que la France fait déjà
Canons Caesar, missiles antichars, antiaériens, véhicules de l’avant blindé, lance-roquettes… La France a déjà participé à l’effort de guerre en soutien à l’Ukraine. Lors de la visite de Volodymyr Zelensky à Paris mi-mai, Emmanuel Macron a encore promis à son homologue ukrainien de nouvelles livraisons, notamment en matière de défense aérienne, sans en préciser les détails. Plusieurs bataillons de soldats ukrainiens vont également être formés et équipés « avec des dizaines de véhicules blindés et de chars légers, dont des AMX-10RC », expliquait le communiqué commun à la suite de la rencontre à Paris entre les deux présidents.
Mais il n’y a pas que l’armement qui compte. « Je ne peux pas ne pas remercier le peuple et le gouvernement français pour leur aide humanitaire », a ainsi salué l’ambassadeur ukrainien. L’aide de la France est en effet aujourd’hui principalement humanitaire et financière, et même si ça se remarque moins, « c’est fondamental » dans le conflit, affirme Michel Goya. « L’administration ukrainienne est aujourd’hui payée par les pays européens » et « c’est aussi grâce aux prêts financiers qu’ils peuvent acheter du matériel de guerre », développe l’ancien colonel des troupes de marine.
Un stock à sec
Mais alors pourquoi si peu communiquer sur les livraisons d’armes ? Et bien parce que, malgré tout, « notre contribution est modeste militairement, explique Michel Goya. On est actifs, mais on a un potentiel très faible. » La France est en effet douzième dans le classement des pays qui fournissent le plus d’armes à l’Ukraine, loin derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, respectivement aux premier et deuxième rangs, selon l’institut de Kiel qui recense l’aide de tous les pays. Ce n’est pas tellement un manque de volonté, « c’est parce qu’on ne peut pas faire grand-chose étant donné l’état de nos stocks, analyse encore l’historien. On a livré ce qu’on pouvait. » Il n’y a donc pas lieu de fanfaronner.
Pour aller plus loin, « il faudrait se dépouiller de ce qu’il nous reste », abonde-t-il. Car la guerre en Ukraine est principalement une guerre terrestre, or, c’est justement ce genre de matériel (chars, obus…) « qui a été divisé par trois depuis les trente dernières années », rappelle l’ancien colonel des troupes de marine. Si la France a conservé des compétences techniques et possède du matériel très performant, à l’image des canons Caesar ou du système de défense antiaérien Mamba, il en reste peu.
Un effort supplémentaire toujours possible
Toutefois, la France n’est probablement pas au maximum de ses capacités. Quand Kiev réclamait avec insistance des chars lourds à ses partenaires européens et américains, la France n’a pas répondu à l’appel. Aucun signe des chars Leclerc. « Si on voulait, on pourrait envoyer une quarantaine de Leclerc », estime ainsi Michel Goya. Et même si l’ambassadeur ukrainien affirme que Kiev ne voulait pas de chars Leclerc car « trop compliqués » et préférait un modèle unique, de nombreux pays ont envoyé différents exemplaires : l’Allemagne, le Portugal ou la Norvège ont promis des Leopard 2, les Etats-Unis ont livré des chars Abrams, le Royaume-Uni a livré des Challengers 2. « Et même pour les avions de combat, on est un peu réticent », ajoute Michel Goya.
Sur la formation de soldats, la France aurait par ailleurs pu être pionnière, se transformer en grand camp de formation « puisqu’on se targue de le faire très bien en Afrique », note l’historien. Mais elle a pris du retard, « on aurait pu le faire dès le départ. »
Source: 20 Minutes