Troubles alimentaires : " Les injonctions au summer body et les filtres sur les réseaux peuvent les déclencher "

June 02, 2023
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« Pas de féculents le soir, sinon je vais grossir ». « Si je prends un dessert, demain je mange light ». Quand on manque de confiance en soi, que l’on se trouve trop de rondeurs ou pas assez, on commence à passer le contenu de son assiette à la loupe, et à développer un rapport contrarié à son corps et à l’alimentation. Une vulnérabilité qui peut faire basculer vers des troubles des conduites alimentaires (TCA).

Et à l’approche de l’été, les unes des magazines consacrées au summer body et les influenceuses vantant des produits de régime ou des challenges sportifs extrêmes remettent une pièce dans la machine. « Dans un contexte où, durant la pandémie de Covid-19, les TCA ont touché de plus en plus de monde, notamment chez les jeunes », insiste le Dr Camille Ringot, médecin psychiatre spécialiste des TCA, et autrice de l’essai Jeûne, régimes, minceur, La grande manipulation * (éd. Larousse). Elle répond à 20 Minutes à l’occasion de la Journée nationale de sensibilisation aux TCA.

En préambule, pouvez-vous nous parler en chiffres des TCA ? Et quels en sont les facteurs déclencheurs ?

Ils regroupent trois entités principales : anorexie mentale, boulimie ou hyperphagie boulimique. Les TCA sont des maladies psychiatriques graves très fréquentes : rien qu’en France, près d’un million de personnes sont concernées. Selon la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB), 17 % de la population, tous âges et genres confondus, sont à risque ou souffrent de TCA. Et ces troubles multifactoriels touchent davantage les femmes que les hommes.

Certaines personnes vont avoir des facteurs de vulnérabilité : les préoccupations corporelles, l’insatisfaction corporelle, renforcée par l’internalisation de l’idéal de minceur véhiculé par la société, toutes ces injonctions qui nous conditionnent à idéaliser les corps minces et musclés, les personnes « healthy ». Cela peut conduire à développer un désordre de la prise alimentaire qui va se transformer en TCA.

La saison du summer body et son lot d’injonctions risquent-ils de favoriser ou d'aggraver les TCA ?

Fréquemment, un facteur déclenchant va être la mise en place d’un régime. Et toutes ces injonctions à se préparer un corps mince et tonique, si on a un facteur de vulnérabilité, on risque de développer un TCA.

J’alerte mes patientes pour leur faire prendre du recul. C’est bien de prendre soin de son corps et de son alimentation. Mais en aucun cas d'entreprendre un régime pour perdre rapidement du poids, en entrant dans un hypercontrôle. Ce n’est pas la solution pour perdre du poids durablement en cas de surpoids ou d’obésité.

Une étude de l'Anses démontre les effets délétères de tous les régimes alimentaires populaires, avec un risque de développer des TCA, et, un an après le régime, une reprise du poids dans 80 % des cas.

Les femmes sont davantage concernées par les TCA. Existe-t-il un rapport genré à l’alimentation ?

Le rapport à notre image et à notre alimentation - donc notre risque de développer un TCA - est influencé par nos croyances, elles-mêmes conditionnées par les messages véhiculés sur l’apparence. C’est un fait : les injonctions à la minceur ciblent davantage les femmes, qui vont davantage être préoccupées par le fait de compenser un repas plus riche, vont avoir des pensées qui les poussent à un contrôle exacerbé de leur alimentation. C’est ce qu’illustre avec humour un post de l’influenceuse@MyBetterSelf.

Il est important d’apprendre à manger simplement, en sachant se faire plaisir tout en prenant soin de son corps.

Aujourd’hui, la tendance est au « body positive », mais magazines et réseaux sociaux continuent de vanter des corps minces et retouchés. Comment se désintoxiquer ?

C’est très dur, car les corps idéalisés répondent aussi à une notion de marketing, donc d’argent. Beaucoup de médias alternent entre plébiscite des diversités corporelles et idéal de minceur. C’est en ayant conscience de ce phénomène qu’on va être en capacité de faire le tri. Des études démontrent que c’est la fréquence d’exposition à ce type d’images de corps soi-disant « parfaits » qui va mener à une insatisfaction corporelle grandissante, donc aux TCA.

Il ne s’agit pas de les exclure de son champ de vision, mais d’inclure davantage de diversité, de montrer toutes les morphologies. Et de se défaire des retouches et des filtres dont médias et réseaux sociaux sont encore prisonniers.

Mais comment y parvenir quand tout le monde scrolle des heures sur les réseaux sociaux ?

L’algorithme est conçu pour nous montrer le même type de contenus : si on regarde des personnes au corps retouché, des influenceuses qui ne parlent que de régime, on va en voir de plus en plus. Si on veut s’en défaire, on peut agir en bloquant certains comptes, certains hashtags, et accéder à des contenus qui nous correspondent davantage, sur des choses qui nous font du bien. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain.

Il y a aussi de plus en plus de comptes qui proposent du contenu qui apporte du bien-être. J’ai lancé le compte Instagram@doc.tca pendant le confinement, parce que je recevais beaucoup de messages de patients affectés par tous ces contenus. J’ai eu envie de créer un compte, puis d'écrire un livre, pour permettre aux gens de prendre du recul et de mieux s’orienter vers des soins adaptés. Je me base sur des données scientifiques et ma pratique clinique, et j’y associe des recettes, dans l’idée de pouvoir redonner le plaisir de manger et de cuisiner, sans intellectualiser les repas.

Comment se sortir des TCA ?

En premier lieu, il ne faut pas avoir honte d’en parler, si besoin d’appeler la ligne d’écoute « Anorexie Boulimie Info Ecoute » **. La libération de la parole, qui est cette année la thématique de cette Journée nationale, est déterminante.

Par ailleurs, il est recommandé de mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire, précoce et adaptée, avec un psychiatre spécialiste des TCA, un diététicien nutritionniste et son médecin généraliste. On parle de maladies psychiatriques qui affectent les corps au point, dans certains cas, d’engager le pronostic vital. L’anorexie est la maladie psychiatrique qui a le plus fort taux de mortalité : une personne sur dix en meurt. Il y a aussi des complications physiques associées à la boulimie et l’hyperphagie boulimique.

* Jeûne, régimes, minceur, La grande manipulation, du Dr Camille Ringot, Editions Larousse, 18,95 euros, en librairie depuis le 24 mai.

** Ligne d’écoute « Anorexie Boulimie Info Ecoute » : 09 69 32 59 00. Numéro non surtaxé.

Source: 20 Minutes