Industrie européenne de défense : " On peut craindre un grand gâchis d’argent "

June 02, 2023
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Le retour de la guerre sur notre continent redonne la priorité aux politiques militaires. Partout, les budgets de défense sont en hausse. Les dépenses militaires des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont ainsi atteint 250 milliards d’euros en 2022, dépassant en termes réels les pics constatés à la fin de la guerre froide. En France, les crédits de la prochaine loi de programmation militaire 2024-2030 passent à 413 milliards d’euros, soit en moyenne 10 milliards de plus par an.

Par son soutien à l’effort de guerre de l’Ukraine, l’UE a de surcroît enfin acquis une dimension militaire. Grâce à la mobilisation des fonds de la Facilité européenne pour la paix et aux instruments du renforcement de l’industrie européenne de défense au moyen d’acquisitions conjointes et du Fonds européen de défense (FEDef), il a été possible de financer la livraison d’armes à l’Ukraine et de contribuer à la reconstitution des stocks militaires des Etats de l’Union.

Néanmoins, cette réactivité traduit plus une fébrilité inquiète que des choix réfléchis. La priorité affichée en faveur de la défense masque en réalité l’absence de définition collective des priorités. Chacun agit désormais plus que jamais en ordre dispersé, sans concertation préalable ni orientation conjointe en matière d’armement. Les Polonais achètent à la Corée du Sud et aux Etats-Unis des chars d’occasion par centaines ; les Allemands planifient un bouclier antimissile, l’European Skyshield, à base de Patriot PAC-3 et d’Arrow 3 développés par les Etats-Unis et Israël ; les Français tentent de sauver le programme Système de combat aérien du futur (SCAF), sur lequel repose l’avenir de l’aéronautique militaire européenne, face à l’entreprise américaine Lockheed Martin.

Malgré des dépenses militaires globales supérieures à celles de la Chine, les Européens (Royaume-Uni inclus) risquent de compromettre deux objectifs, l’un militaire, l’autre industriel. Faute d’une programmation coordonnée, il est impossible de rationaliser des panoplies militaires européennes disparates. Sans programmes communs structurants, l’avenir de l’industrie européenne de défense est tout sauf assuré. On peut donc craindre un grand gâchis d’argent, à commencer par le renchérissement des coûts générés par des achats sur étagère simultanés et sans commandes groupées.

Défense commune contrariée

Malgré une analyse de la menace globalement partagée, à en juger par les documents de référence (Concept stratégique de l’OTAN ou « boussole européenne »), les options présidant aux politiques de défense des Etats européens divergent fortement. C’est en particulier le cas pour les principales puissances militaires. Dans la même situation mais continuant à faire cavaliers seuls, le Royaume-Uni et la France sont tiraillés par trop de prétentions. Le projet de « revenir à l’est de Suez » exposé dans l’Integrated Review britannique apparaît ainsi peu crédible, alors que les ambitions militaires françaises en Indo-Pacifique restent mal incarnées. L’European Skyshield allemand pose un double problème d’articulation avec les défenses antimissiles dans l’OTAN et les dissuasions nucléaires britannique et française en plein renouvellement. La Pologne avec son armée de garde face à l’est semble tourner le dos à toute autre préoccupation.

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Source: Le Monde