" La dette, une simple convention sociale, est perçue comme plus dangereuse que la détérioration irréversible des conditions de vie sur Terre "

June 03, 2023
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L’économie est le prétexte à toutes sortes de discours d’entrave à la protection de l’environnement. « Ça coûte trop cher ! », « Comment voulez-vous financer de telles mesures ? » : ces objections reviennent inlassablement, et l’accueil du rapport rendu le 22 mai à la première ministre sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » n’a pas fait exception.

L’économiste Jean Pisani-Ferry et l’inspectrice des finances Selma Mahfouz y préconisent, entre autres, un recours à l’impôt et à l’endettement pour opérer la transition. Sur Franceinfo, le ministre délégué aux comptes publics, Gabriel Attal, leur a répondu qu’« on ne peut pas se le permettre ». « On doit d’abord se désendetter, c’est absolument nécessaire », a-t-il expliqué, sinon « ce serait potentiellement des augmentations d’impôts pour les années à venir, pour les générations futures ».

Il est d’abord frappant de constater que les « générations futures » sont ici convoquées pour justifier l’inaction climatique. Comme si une simple convention sociale – la dette – pouvait être plus dangereuse que la détérioration irréversible des conditions d’habitabilité de la Terre. Pour saisir toute l’étrangeté de cette situation, il faut sans doute se figurer le pays face à une armée étrangère hostile, le gouvernement ordonnant de baisser les armes devant l’agression parce que résister coûterait trop cher à l’Etat.

A quoi peut donc bien tenir cette relativisation de la question climatique ? Si inconfortable que cela puisse paraître, il faut sans doute chercher du côté de ce que le diplomate et économiste américain John Kenneth Galbraith (1908-2006) appelait la « sagesse conventionnelle » des économistes – c’est-à-dire l’ensemble des faits que la majeure part d’entre eux tiennent pour vraisemblables sans besoin d’être démontrés. De David Ricardo (1772-1823) à Milton Friedman (1912-2006), les pères fondateurs de la science économique ont toujours tenu pour « sage » d’ignorer la finitude du monde physique.

Le réchauffement longtemps ignoré

Cette cécité a duré longtemps. Jean Pisani-Ferry le reconnaît à demi-mot en préambule de son rapport : « Trop longtemps (…), l’enjeu climatique a été traité dans une perspective de long terme. (…) Dans leurs réflexions concrètes sur la croissance, l’emploi, l’inflation ou les finances publiques, les macroéconomistes, qui ne sont en général pas spécialistes du climat, pouvaient l’ignorer – et ils l’ont de fait largement ignoré. Et, avec eux, la plupart de ceux dont la responsabilité est de prendre des décisions économiques pour les années à venir. »

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Source: Le Monde