Démagogie automobile contre sécurité routière

June 05, 2023
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En matière de sécurité routière et d’environnement aussi, les mauvais choix se traduisent en nombre de morts. Cette vérité, moins largement admise qu’en ce qui concerne la santé, les responsables politiques devraient l’avoir en tête dans un pays, la France, où, chaque année, la route tue plus de 3 000 personnes et en laisse lourdement handicapées plus de 3 000 autres. Le Conseil d’Etat, en donnant deux mois, jeudi 1er juin, au gouvernement pour prendre l’arrêté mettant en œuvre le contrôle technique des deux-roues motorisés, ne fait que mettre en lumière la réticence de l’exécutif à concrétiser une décision pourtant destinée à protéger l’environnement et à sauver des vies.

D’apparence anodine, la mesure a été jugée si inflammable politiquement que le président de la République avait annoncé sa non-application en août 2021, au lendemain de la publication du décret destiné à la mettre en place. « Ce n’est pas le moment d’embêter les Français », avait alors tranché Emmanuel Macron à quelques mois de la campagne présidentielle, s’inspirant d’une formule de l’un de ses prédécesseurs, Georges Pompidou. En juillet 2022, un nouveau décret avait traduit le choix présidentiel.

Pas d’arguments convaincants

Mais, trois mois plus tard, le Conseil d’Etat, saisi par trois associations militant pour la qualité de l’air et la sécurité routière, avait annulé ce dernier texte pour « excès de pouvoir » et rétabli le décret de 2021. Les magistrats avaient notamment tiré argument de « la mortalité routière particulièrement élevée des conducteurs français de deux-roues » par rapport à d’autres catégories et aux pays voisins. De fait, alors que les deux-roues motorisés pèsent pour moins de 2 % dans le trafic routier, près d’un mort sur quatre est l’un de leurs usagers. Pourtant, depuis le jugement d’octobre 2022, le gouvernement a fait de nouveau la sourde oreille, suscitant un nouveau recours en référé, accueilli favorablement jeudi par le Conseil d’Etat, enjoignant à celui-ci de prendre l’arrêté d’application.

La protection de l’environnement et la sécurité routière devraient constituer des « grandes causes nationales » appuyées par des stratégies durables, expliquées et débattues, à l’abri des tentations démagogiques. Or ni le renoncement à la norme nationale des 80 km/h sur les routes secondaires, défendue par l’ancien premier ministre Edouard Philippe, ni la décision du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, de supprimer les sanctions pour les « petits » excès de vitesse n’ont été justifiés de façon convaincante.

Au surplus, l’obligation du contrôle périodique des deux-roues motorisés résulte d’une directive européenne de 2014. En rechignant à l’appliquer sous la pression du lobby des motards, Emmanuel Macron et le ministre des transports, Clément Beaune, alimentent les discours qui voient la « mainmise de Bruxelles » derrière chaque décision contraignante et dénoncent le « gouvernement des juges » à chaque rappel à l’ordre. Un paradoxe pour deux personnalités ouvertement pro-européennes.

A l’heure où, à la tête de l’exécutif, on s’inquiète d’un « processus de décivilisation », pourquoi ne pas considérer que le comportement des citoyens dans leurs usages des modes de transport individuels est précisément, par le respect des autres, de la santé et de la vie de chacun, l’un des marqueurs de notre civilité ? Quant aux arguments sur le rétrécissement des libertés, il suffit de se rappeler des controverses sans fin, voici quelques décennies, sur l’obligation du port de la ceinture de sécurité ou des dispositifs de protection des enfants dans les voitures, pour les relativiser.

Le Monde

Source: Le Monde