"On ne va pas se laisser faire" : dans le cortège contre la réforme des retraites à Paris, des manifestants entre colère et espoir d'une suite à la mobilisation

June 06, 2023
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Alors que la quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites se tenait dans tout le pays, franceinfo a interrogé des manifestants parisiens sur l'avenir du mouvement.

Installée à l'ombre offerte par les arbres de l'esplanade des Invalides, Françoise s'aventure à pronostiquer la suite du mouvement contre la réforme des retraites, en attendant le départ du cortège parisien de cette quatorzième journée de mobilisation, mardi 6 juin. "Avec l'adoption de la réforme, il va y avoir une radicalisation du mouvement, avec des violences, mais ça ne viendra pas de moi, vu mon état", plaisante cette ancienne infirmière de 63 ans, au corps abîmé par les années de labeur. Cette nouvelle manifestation intervient alors que dimanche, deux premiers décrets d'application de la loi sont parus au Journal officiel. L'un d'eux comprend la mesure la plus controversée du texte : le report progressif de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

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Un timing considéré comme "une provocation" par Corinne, 55 ans. Cette ingénieure chez EDF a été de presque toutes les manifestations, depuis le début de la mobilisation en janvier. Pourtant, cette fois-ci, elle a hésité à fouler le pavé. L'envie d'exprimer son désaccord était bien là, mais la quinquagénaire a été rattrapée par la désagréable impression que "ça ne sert plus à grand-chose".

"On a été tellement nombreux à manifester durant des semaines… Lorsque je vois le résultat, avec un processus législatif déjà tellement avancé… Je suis dégoûtée." Françoise, ingénieure chez EDF à franceinfo

Finalement, Françoise s'est décidée à venir manifester avec sa compagne. Contre la réforme des retraites, d'abord, mais aussi pour réclamer de meilleures conditions de travail, une revalorisation salariale, et pour dire non "à ce qui se prépare sur la loi immigration". "On est là pour dire qu'on ne lâche rien sur la réforme des retraites, et qu'on ne va pas se laisser faire ce qui va venir", résume-t-elle.

Corinne (à droite), a manifesté une nouvelle fois, mardi 6 juin, à Paris en compagnie de son épouse Christiane (à gauche) pour s'opposer à la réforme des retraites. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

"Je ne passerai pas à autre chose"

L'adoption de la réforme des retraites par le Parlement, à l'issue du recours par la Première ministre Elisabeth Borne au décrié article 49.3, a réveillé en Thibault un sentiment de colère. "Ça donne l'impression qu'on s'est mobilisé pour rien", déplore le boulanger de 26 ans, accablé par le soleil de plomb qui frappe Paris. Alors, il a décidé de continuer le combat, tant que possible.

"Je travaille depuis mes 17 ans. C'est un métier physique et mal payé. Ma mère, elle, est cariste. Elle a eu un infarctus récemment et doit à présent travailler deux ans de plus avec cette réforme. C'est pour toutes ces raisons que je continuerai de manifester", assène-t-il. Tant que seront formulés des appels à se mobiliser, le jeune homme assure qu'il répondra présent. Pour autant, son combat ne se reportera pas dans les urnes. Thibault ne vote pas, et ne prévoit pas de changer de ligne de conduite au sortir de ce mouvement social.

Thibault (à gauche) a manifesté, mardi 6 juin à Paris, en compagnie de son amie Laurianne, (à droite) "pour continuer à montrer [son] désaccord" avec la réforme des retraites, malgré l'adoption de la loi. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

"A titre individuel, je continuerai à m'opposer à tous ceux qui disent que c'est la démocratie, et qu'il faut qu'on accepte à présent la réforme. Moi, je ne l'accepterai pas, et je ne passerai pas à autre chose", martèle Maël, 37 ans. Cet employé de la fonction publique est venu manifester en compagnie de son supérieur hiérarchique. Lunettes de soleil vissées sur le nez, les deux fonctionnaires observent les alentours des Invalides, point de départ du cortège parisien, et constatent, avec regret, que les rangs sont plus clairsemés que lors des précédentes journées de mobilisation.

"Je serais vraiment dégoûtée si c'était la dernière"

La CGT a comptabilisé 300 000 manifestants dans la capitale, contre 550 000 lors de la précédente manifestation, le 1er-Mai. La préfecture de police, elle, n'a dénombré que 31 000 participants dans le cortège parisien. "Il ne faut pas pour autant y voir le signe d'une adhésion de la population au projet", insiste Maël, qui juge que la multiplication des journées de mobilisation a pu provoquer de la lassitude chez une partie des manifestants. Pour ce qui est du devenir du mouvement, les regards des deux fonctionnaires se tournent vers l'intersyndicale. Une nouvelle manifestation va-t-elle être annoncée ? De nouvelles formes de mobilisation sont-elles à attendre ? Ils ne sont pas les seuls à s'interroger.

"Je serais vraiment dégoûtée si c'était la dernière", déplore Julie, 19 ans, enroulée dans un drapeau antifasciste. Cette étudiante l'assure, pourtant, elle continuera la lutte malgré tout, de son côté, avec les moyens du bord. "Sur les réseaux sociaux, avec mes proches, j'essayerai de convaincre de l'injustice que représente cette réforme", prévient-elle.

Julie, 19 ans, est de toutes les mobilisations contre la réforme des retraites depuis janvier. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

"Il faut être réaliste", tempère Bertrand. Cet élu Force ouvrière, âgé de 67 ans, estime que le mouvement va s'essouffler après cette quatorzième journée de lutte, notamment en raison de l'arrivée des vacances d'été. Mais la mobilisation pourrait reprendre à la rentrée "sous d'autres formes", envisage Bertrand, qui anime une permanence syndicale à Paris.

En attendant le mois de septembre, le sexagénaire suivra avec attention les débats qui se tiendront à l'Assemblée nationale jeudi, alors que les députés doivent examiner une proposition de loi du groupe Liot sur la réforme des retraites. Avec un mince espoir d'assister au revirement politique et institutionnel tant attendu. "En tant que syndicaliste, je ne désespère jamais", glisse-t-il dans un éclat de rire.

Source: franceinfo