Au Sénégal, le président Macky Sall reste silencieux malgré les violences
Le président sénégalais Macky Sall au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 19 février 2023. TIKSA NEGERI / REUTERS
C’est le grand absent de cette séquence tumultueuse. Alors que le Sénégal est sous tension depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » jeudi 1er juin, le président Macky Sall se tient silencieux. Pas d’allocution solennelle pour déplorer les seize civils tués dans les heurts entre la police et les partisans de l’opposant, pas de communiqué de la présidence. Le verdict devrait rendre Ousmane Sonko inéligible lors de la présidentielle de février 2024.
« Face à un tel bilan humain, ce silence est inexplicable, déplore l’opposant Déthié Fall, membre de la coalition Yewwi Askan Wi, proche d’Ousmane Sonko, qui réclame la démission du chef de l’Etat. Son régime use d’une violence inouïe contre des manifestants qui ne veulent plus de lui. Il doit prendre la parole », exige-t-il, s’appuyant sur les vidéos documentant une répression musclée des forces de l’ordre.
Depuis la fin du procès, le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, son collègue à l’intérieur, Félix Antoine Diome, et les représentants de la police nationale se sont relayés pour démentir tout usage disproportionné de la force par les services de sécurité et imputer les récents troubles à des « forces occultes » et à une « présence étrangère ». Pour la majorité, les tensions actuelles n’illustrent en rien une hostilité contre Macky Sall suspecté de vouloir briguer un troisième mandat, rumeur qu’il refuse de confirmer ou démentir.
« Il n’y a pas de crise politique ou de soulèvement populaire contre le régime », martèle un cadre de la majorité présidentielle. « Le président n’a donc aucune raison de s’exprimer sur les derniers événements. Des éléments étrangers soutenus par le Pastef [parti d’Ousmane Sonko] tentent de déstabiliser notre démocratie. Mais la situation est sous contrôle. Macky Sall parlera si la situation le réclame », assure-t-il.
Arme politique
En mars 2021 déjà, alors que le pays s’était enflammé suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko – quatorze personnes avaient été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre –, la parole présidentielle s’était fait attendre. « Il avait fallu l’insistance des médiateurs religieux pour qu’enfin il prenne la parole, rapporte Gilles Yabi, fondateur du cercle de réflexion Wathi basé à Dakar. Macky Sall garde une posture similaire. Il veut donner l’impression d’être serein malgré la gravité de la situation. Il fait aussi le pari que l’appareil d’Etat et les forces de sécurité contiendront la crise. Sans doute jauge-t-il l’évolution de la situation avant d’éventuellement prendre la parole. »
Seul signe d’une éventuelle fébrilité du pouvoir : à la dernière minute, Macky Sall a annulé sa venue à l’Africa CEO Forum qui se tenait les 5 et 6 juin à Abidjan. Se déplacera-t-il la semaine prochaine à Kiev puis à Moscou où une délégation de présidents africains entend jouer les médiateurs ?
Depuis des mois, la stratégie du silence du président sénégalais semble savamment utilisée comme arme politique. Lui qui avait promis de quitter le pouvoir après deux mandats entretient le doute sur ses ambitions pour la présidentielle de 2024. A ceux qui réclament une clarification, il répond d’un nébuleux « ni oui, ni non » et laisse son entourage s’exprimer à sa place. Des cadres de son parti et des ministres instillent l’idée de la légalité d’un troisième mandat, pourtant jugé anticonstitutionnel par nombre de juristes et par l’opposition.
« Si le chef de l’Etat se tait, c’est aussi pour manifester son ressentiment vis-à-vis de ceux qui expriment leur refus d’un éventuel troisième mandat. Il manifeste ainsi une forme de colère rentrée à l’égard de ses détracteurs. C’est une erreur car il renforce ainsi l’image de président autoritaire que ces derniers lui collent », estime Alioune Tine, président du groupe de réflexion Afrikajom Center.
Celui que ses détracteurs qualifient d’hyperprésident s’exprime selon donc son rythme et son agenda. On le juge autoritaire et peu enclin au compromis ? Il répond par l’instauration d’une journée dédiée au dialogue national avec ses opposants. Cette année, la rencontre s’est ouverte le 31 mai, la veille de la fin du procès d’Ousmane Sonko.
Alors que son rival a refusé de participer à cet événement, Macky Sall a tenu à rappeler qu’il était le « maître des horloges ». Et a répondu de façon cinglante à ceux qui le pressent pour qu’il s’exprime sur son vœu d’un éventuel nouveau mandat : « Si vous voulez un mandat, il suffit de me le demander. Si ça me plaît, je peux céder sans problème, mais vous devez me le demander avec la courtoisie qui convient. »
Source: Le Monde