Gabrielius Landsbergis: "La Russie doit perdre la guerre et l’Ukraine doit la gagner"

RFI
June 08, 2023
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Entretien

Les évacuations se poursuivent en aval de Kakhovka, dans le sud de l’Ukraine, après la destruction du barrage, et les inondations provoquées sur les deux rives du Dniepr. Pour l’Ukraine, la Russie porte l’entière responsabilité de la catastrophe, accusations relayées par ses partenaires occidentaux. À l’image des pays Baltes, qui comptent parmi les alliés les plus proches de Kiev au sein de l’Otan. RFI a pu s’entretenir ce jeudi 8 juin à Paris avec le Ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, à l’occasion d’une rencontre organisée par l’Institut français de relations internationales.

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RFI : Qui est responsable selon vous de la destruction du barrage de Kakhovka, dans le sud de l’Ukraine ?

Gabrielius Landsbergis : La Russie bombarde des infrastructures civiles depuis le premier jour et ment constamment sur l'identité des auteurs de ces bombardements. Je pense donc qu'au vu de cette expérience, il est très clair que nous pouvons définitivement blâmer la Russie et exiger qu'elle assume ses responsabilités. L'Ukraine doit gagner la guerre et la Russie doit payer le prix pour tous les dommages causés.

Le 11 juillet prochain, votre pays accueillera le sommet de l’Otan à Vilnius. L’Ukraine espère obtenir des garanties quant à sa candidature au sein de l’Alliance. Allez-vous soutenir cette demande ?

Je suis absolument convaincu que l'Ukraine doit devenir membre de l'Otan si nous voulons que le continent européen soit sûr. On peut discuter du moment où cela doit se produire, mais je pense que nous devons nous engager très clairement sur ce point. En effet, en 2008, nous avons donné l’impression à l’Ukraine qu’elle ferait partie de l'Otan, mais il a fallu 15 ans pour que nous revenions sur le sujet. Nous avons perdu 15 ans, et pendant cet intervalle, la Géorgie a été envahie, et l’Ukraine aussi. Je pense donc qu'il est temps de s'asseoir et de trouver une solution pour que nos promesses se concrétisent.

Mais de quelle solution s'agit-il ? Qu'attendez-vous des membres de l'Otan ?

Je pense qu'un engagement contraignant serait le meilleur résultat. Un engagement contraignant qui permettrait à l'Ukraine de savoir à quoi s'attendre et de s'assurer qu'il ne s'agit pas d’une vague promesse pour les 15 prochaines années. Il faut disposer d’un calendrier, d'étapes concrètes, d'une sorte d'algorithme sur la manière dont ce travail va se dérouler. Et je peux vous dire que ce n'est pas une discussion facile. Il nous reste un peu plus d'un mois pour cela et je ne peux pas vous dire si nous y parviendrons.

Il sera également question de garanties pour la sécurité de l'Ukraine, dans l’attente d’une adhésion. Faites-vous pression en ce sens ? Et quelle forme cela devrait-il prendre ?

S'il s'agit de garanties faibles ou de fournir des armes supplémentaires à l'Ukraine, la plupart des gens penseraient que c'est insuffisant. S'il s'agit de garanties de sécurité comme celles que la Suède ou la Finlande ont obtenues jusqu'à leur adhésion, c'est beaucoup plus fort. Cela permettrait de penser que le pays sera défendu en cas d'attaque, peut-être pas par l'Alliance, mais sur une base bilatérale, ce qui constituerait un bouclier de sécurité. Ainsi, lorsque nous parlons de cela, il est très, très important d'examiner le contenu, de ce qu'il y aura à l'intérieur du paquet.

Vous attendez également de l’Otan qu’elle renforce son flanc oriental…

La Lituanie se trouve dans une situation géographique particulière : nous sommes coincés entre la Russie (enclave de Kaliningrad) et la Biélorussie, et par conséquent nos questions de sécurité sont plus élevées qu'elles ne le seraient normalement. Nous constatons que la Russie est aujourd'hui en mauvaise posture en Ukraine, mais si l'on se projette dans l'avenir, dans 3, 5 ou 7 ans, on sait qu'elle sera en mesure de se reconstruire. S'il n'y a pas de changement radical à Moscou, nous aurons alors deux voisins dangereux à nos côtés.

Mais qu’attendez-vous concrètement de l’Otan ? Des soldats supplémentaires, de la défense anti-aérienne ? De quoi avez-vous le plus besoin ?

Je pense que le meilleur moyen de dissuasion est toujours d'avoir des troupes sur le terrain. Il faut donc plus de soldats. Après la première invasion de l’Ukraine, en 2015, l'Otan a pris la décision de déployer des détachements dans les États baltes. Aujourd'hui, nous avons un bataillon allemand en Lituanie et nous pensons que cela fonctionne très bien. Par conséquent, des troupes de l’Otan supplémentaires, ce serait une étape logique après une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Mais le déploiement d’équipements supplémentaires et de moyens de défense aérienne serait également très utile. Pour que nous puissions avoir le sentiment d'être protégés de la même manière que les pays plus à l'ouest.

L'article 5 n'offre-t-il pas une protection suffisante aux États baltes ?

Cela a été le cas jusqu'à présent, sans aucun doute. Mais si l'on se projette dans l'avenir, il faut admettre que la Russie a franchi une ligne rouge psychologique. Ce pays est un agresseur qui a justifié une invasion à grande échelle contre son voisin. L'idée est donc qu'il pourrait trouver une justification pour une autre invasion. C'est ce qui nous inquiète. C'est pourquoi nous demandons que cette menace se traduise par une défense et un renforcement supplémentaire du flanc oriental.

Parlons à nouveau de l'Ukraine. Selon vous, la contre-attaque annoncée depuis des mois a-t-elle commencé ?

C'est difficile à dire ! Très honnêtement, je suis de ceux qui vérifient Twitter tous les matins pour voir ce qu'il y a de nouveau. Mais j'ai pleinement confiance. Kiev a fait preuve d'une grande compétence en matière militaire et politique lorsqu'il s'agit de gérer les objectifs fixés. La seule inquiétude qui subsiste est la suivante : leur avons-nous envoyé suffisamment d'équipement ? Et si ce n'est pas le cas, pouvons-nous leur envoyer quelque chose de plus ?

Pensez-vous que l'Occident en a fait assez ou qu'il aurait dû en faire plus et qu'il devrait encore en faire plus ?

La seule chose à laquelle on peut penser, c'est que nous aurions pu faire certaines choses plus rapidement... Vous vous souvenez du débat en Ukraine lorsque le président Zelensky a demandé des moyens pour sécuriser le ciel au-dessus de Kiev. À l'époque, il y a un an, on disait que ce n'était pas possible, que ce ne serait jamais possible. Un an plus tard, ils utilisent avec succès des systèmes Patriot. Il en va de même pour le F-16. Je pense donc que nous ne devons pas nous blâmer, mais que nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs à l'avenir. Prenons en compte le fait qu'ils sont capables d'apprendre et d'utiliser les équipements fournis, que ces équipements sont très efficaces et que nous sommes capables de les livrer. Donc, s'il y a quelque chose qui peut être livré plus rapidement, je pense qu'il faut le faire.

Quelle sera la relation entre votre pays et la Russie après la guerre ? Si l’Ukraine a repris le contrôle de ses territoires, mais que Vladimir Poutine est toujours au pouvoir, pourriez-vous envisager d’avoir de nouveau une relation avec Moscou ?

Pour l'instant, la seule réponse à laquelle je pense est la dissuasion. Nous voulons que la stratégie soit telle que Poutine n'envisage plus jamais d'aventures extérieures. C'est la seule chose à laquelle nous pensons actuellement. La confiance existe-t-elle ? Non. Est-il nécessaire de rétablir la confiance ? Malheureusement, non. Et il y a une chose que nous voulons : nous voulons que la Russie perde en Ukraine, nous voulons que l'Ukraine gagne, et ensuite, quoi qu'il arrive en Russie, c'est l'affaire de la Russie. Elle s'en occupera comme elle l'entend. Mais nous devons savoir que nous sommes défendus de manière à ne pas être agressés par la Russie.

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Source: RFI