Pour Geneviève Darrieussecq, " les cagnottes en ligne pour payer un fauteuil roulant ne doivent plus exister "
YOAN VALAT / AFP YOAN VALAT / AFP
INTERVIEW - Fauteuils roulants remboursés, accessibilité, travail en ESAT, école inclusive, désinstitutionnalisation… Au lendemain de la Conférence nationale du handicap, que certaines associations ont choisi de boycotter regrettant un « manque d’ambition », que retenir des annonces faites par Emmanuel Macron ?
Le HuffPost s’est entretenu avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, pour approfondir certaines mesures.
Le HuffPost. Le Conseil de l’Europe a épinglé la France, notamment sur l’accessibilité. Il estime que ce principe, prévu dans la loi depuis 1975 et 2005, n’est toujours pas respecté. Pire, que les obligations de l’État et de ses services en matière d’accessibilité ont « régressé dans tous les domaines, et que les nouvelles réglementations décalent indéfiniment la mise en accessibilité réelle ». Que répondez-vous à cela ?
Geneviève Darrieussecq. Je ne pense pas que la France ait régressé. Il y a eu certainement des temps d’arrêt. Sur l’accessibilité, on a un retard et personne ne dit le contraire. Cela a été dit par le Président de la République, par la Première ministre, il n’y a pas de déni de réalité. Le sujet de l’accessibilité concerne une multitude d’acteurs, à prendre en compte pour que le résultat final soit parfait : les collectivités, les autorités et organismes de transports, tous les professionnels, les promoteurs, commerçants, les établissements recevant du public (ERP)… C’est un ensemble.
Tout cela aujourd’hui n’a pas été évalué. Il faut dire - même si ça n’est pas une excuse - que le Covid nous a éloignés de ces sujets et de ces objectifs pendant deux ans. Néanmoins, aujourd’hui, l’objectif est là et c’est 2024. Nous allons tous travailler pour remettre ce sujet sur la table, aider ceux qui en ont besoin. 2024, c’est l’idéal. Le Président l’a évoqué : il y aura des contrôles et des sanctions à partir de la fin de l’année 2024. Dans une société comme la nôtre, qui est aussi vieillissante, c’est un enjeu sociétal.
L’une des annonces fortes faites par le Président de la République, c’est le remboursement à 100 % des fauteuils roulants à partir de 2024. Est-ce qu’il s’agira réellement de tous les fauteuils, même ceux qui coûtent plusieurs milliers d’euros ? Comment seront-ils pris en charge ?
Aujourd’hui, toutes populations confondues, y compris les personnes âgées, il y a environ un million d’utilisateurs de fauteuils roulants en France. Et la majorité des fauteuils sont pris en charge correctement. Il reste entre 10 et 15 % de personnes qui ont des restes à charge, qui peuvent être importants. Environ 60 000 personnes ont 5 000 €, par exemple, de reste à charge, ce qui est très élevé.
Ce que nous souhaitons, c’est qu’il n’y ait plus de reste à charge, y compris pour les personnes qui utilisent des fauteuils électriques. Que le fauteuil soit performant ou non, c’est une nécessité pour ces personnes, qui ne peuvent pas faire autrement. Donc oui, ils seront remboursés. Quant à savoir comment, nous travaillons à une articulation, entre une meilleure prise en compte par l’Assurance maladie et les mutuelles. Comme l’a dit François Braun, les cagnottes en ligne pour payer un fauteuil roulant ne doivent plus exister.
Lors de la CNH, le Président a employé le mot « désinstitutionnalisation », que recommande l’ONU, et a en parallèle promis 50 000 nouvelles solutions médico-sociales. Certaines associations craignent un « en même temps » sur ce sujet. Que leur répondez-vous ?
Il y a un travail important à mener avec les associations gestionnaires. Et parfois certaines craignent cette désinstitutionnalisation et ont du mal à imaginer la dynamique. À mon sens, il y aura toujours besoin de solutions de grande proximité, avec beaucoup de professionnels, autour de certaines personnes, avec certains polyhandicaps par exemple, qui nécessitent des soins continus et difficilement réalisables autrement. Mais elles sont très minoritaires. La très grande majorité des personnes en situation de handicap ne doivent plus passer leur vie dans un établissement.
Il y a d’ailleurs beaucoup d’établissements qui commencent à s’ouvrir vers l’extérieur. Il existe par exemple des Foyers d’accueil médicalisés (Fam) qui sont hors les murs, avec des équipes qui suivent les personnes à domicile ou dans des logements inclusifs. Il y a des Instituts Médico-Éducatifs (IME) qui s’ouvrent de plus en plus, ont des interactions avec l’école, le collège, l’enseignement professionnel. C’est un accompagnement différent, plus souple, plus en contact avec l’extérieur, qui favorise les parcours des personnes et leur insertion dans la société. C’est ça, l’enjeu.
Dans les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT), le président a émis le souhait que les personnes handicapées aient accès à des droits sociaux et ne soient plus rémunérés 60 % du SMIC. Pouvez-vous préciser cette annonce et nous expliquer comment cela va être mis en place et quand ?
Dans un premier temps, il faut que ces travailleurs ne soient plus considérés comme des « usagers ». Ce ne sont pas des « usagers » mais des travailleurs, qui ont des compétences, qui effectuent des tâches pour lesquelles ils sont rémunérés. D’ailleurs, les ESAT répondent à des marchés publics etc. Il était anormal que ces personnes n’aient pas les mêmes droits sociaux que les autres. Donc cela va être le cas, dans le cadre de la prochaine loi portée par Olivier Dussopt.
Deuxièmement, la question de leurs ressources. Aujourd’hui, un travailleur d’ESAT est payé par l’État à 50 % du SMIC, auquel on ajoute 10 % environ par l’ESAT et le reste est complété par l’allocation adulte handicapé (AAH). Ce qu’a promis le Président, c’est d’arriver à faire en sorte qu’ils soient payés comme tous les salariés et qu’ils cotisent à la retraite avec un salaire complet. Maintenant, il faut mettre en œuvre tout cela, avec les représentants des travailleurs et les ESAT, pour affiner au mieux et répondre à cette attente.
Le président s’est réjoui de l’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap à l’école. Mais le nombre des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est encore trop faible. Comment faire pour revaloriser et rendre ce métier attractif et que les professionnels soient mieux formés ?
Effectivement, le statut des AESH va évoluer, avec la possibilité d’avoir des contrats à 35 heures. Nous avions d’ailleurs déjà rendu possible la CDIsation au bout de trois ans. Ensuite, leur nombre augmente tout de même chaque année. Mais le prisme de l’école n’est appréhendé aujourd’hui que par l’accompagnement fait par des AESH, qui est nécessaire, mais qui n’est pas suffisant. Nous avons besoin d’avoir plus d’équipes médico-sociales qui interviendront à l’intérieur des écoles, en plus des Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) et des Unités autisme, que l’on continuera à déployer.
Certaines associations ont boycotté la Conférence nationale du Handicap (CNH), estimant que les mesures « manquaient d’ambition ». Que leur répondez-vous ?
J’ai voulu que cette CNH soit préparée avec tous et au niveau de chaque ministère concerné. C’est ce qui s’est passé : huit groupes de travail ont été mis en œuvre, des dizaines de réunions ont eu lieu, avec les personnes en situation de handicap, les associations et les professionnels. Et bien sûr, avec l’appui fort du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Donc le travail de concertation a été fait et le dialogue se poursuit.
Il y a eu quatre réunions de pilotage à l’Élysée, dont la dernière une semaine avant la Conférence, où toutes les mesures qui allaient être retenues ont été présentées. Elles avaient été discutées et proposées dans les groupes de travail. Ce qui n’était pas connu des associations, c’était à quelle hauteur les engagements financiers allaient être portés. Car il y a des arbitrages à faire et c’était au Président de l’annoncer.
Le Président a fait des annonces, dont certaines sont très fortes : 1,5 milliard pour l’accessibilité, des milliards aussi pour déployer 50 000 nouvelles solutions médico-sociales, ce qui est inédit. Beaucoup d’investissements vont être mis sur la table. Et nous allons, avec un comité de suivi construit avec les associations et les collectivités, veiller à la mise en œuvre des choses, mesure par mesure, jusqu’au dernier kilomètre. Pour y arriver, il faut de la confiance et je vais tout faire pour.
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Source: Le HuffPost