Uniforme, mixité, laïcité… Pourquoi les vêtements à l’école ont toujours été un sujet inflammable

June 10, 2023
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Le port d’abayas par des lycéennes, sujet de préoccupation du moment. Mardi, le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a demandé aux recteurs de la « fermeté » dans l’application des principes de laïcité à l’école, face aux remontées de certains proviseurs concernant le port d’abayas dans leurs murs. Régulièrement, la question des tenues vestimentaires à l’école revient ainsi sur le devant de la scène. Car loin d’être anecdotique, elles sont le reflet des évolutions de la société et de ses bouleversements, comme le montre l’exposition « S’habiller pour l’école »*, qui démarre ce samedi au Musée national de l’éducation de Rouen.

S’intéressant à la période allant de 1880 à nos jours, l’exposition montre que si le vêtement scolaire a souvent créé le débat, c’est d’abord « parce qu’il assez peu évoqué dans la réglementation scolaire. On en parle de manière assez vague, les réglements intérieurs des établissements se bornant à demander aux élèves de porter une tenue décente et propre », explique Nicolas Coutant, co-commissaire de l’exposition et directeur adjoint du musée. Un flou dans lequel se sont souvent engouffrés les élèves et qui a généré des conflits avec les équipes pédagogiques. Comme on l’a vu récemment avec la mode des claquettes-chaussettes, qui a suscité des réactions vives chez les chefs d’établissements, certains ayant fini par les interdire.

Des injonctions vestimentaires plus fortes pour les filles

Au cours des dernières décennies, c’est la tenue des filles qui a fait le plus parler. « Avant la généralisation de la mixité à l’école dans les années 1960, le pantalon était autorisé pour les filles uniquement en cas de grand froid, et porté sous une jupe. Il n’est apparu dans les cours d’école qu’à la fin des années 1960 », souligne Aude Le Guennec, co-commissaire de l’exposition. Dans les années 2000, ce sont les tenues hypersexualisées de certaines filles qui ont suscité le débat : shorts jugés trop courts, crop tops…. « Les injonctions de sobriété ont toujours pesé plus fortement sur elles. Les vêtements trop courts ou trop longs sont souvent été commentés », observe Nicolas Coutant. Les garçons ont moins été tancés sur leurs tenues ; seuls les casquettes, les pantalons baggy et les claquettes sont parfois proscrits dans les règlements intérieurs.

Le pantalon pattes d’éléphant, typique des années 70. - DR

Plus récemment, c’est la dimension genrée du vêtement qui a été questionnée. Notamment après l’affaire de Fouad en 2020 à Lille. Cette adolescente transgenre s’était présentée au lycée vêtue d’une jupe, ce qui avait entraîné une discussion avec la direction de l’établissement. En 2021, le ministère de l’Education nationale a publié une circulaire soulignant la nécessité de respecter les choix vestimentaires des élèves concernés, dans la limite du règlement intérieur : « Les vêtements et accessoires autorisés et interdits le sont pour tous les élèves sans distinction. »

Le port de tenues à signification religieuse, casse-tête du moment

Si la tenue vestimentaire des élèves est tellement commentée, c’est aussi qu’elle est accusée de souligner les inégalités sociales entre élèves. D'où le débat récurrent sur le retour de l’uniforme, souvent proposé par des personnalités politiques. « C’est d’autant plus étonnant que l’uniforme scolaire a peu existé dans les établissements publics, hormis pour les lycéens internes. Il ne subsiste aujourd’hui que dans quelques territoires d’Outre-mer et dans certains établissements privés », souligne Nicolas Coutant. Un uniforme paré de fantasmes, comme le relève Aude Le Guennec : « Ça ne résout en rien les clivages sociaux, car on distingue toujours ceux qui ont acheté leur uniforme au rabais ou qui ont des accessoires de marques. »

Institution de Marie-Immaculée. 1938-1939. Montluçon (Allier), 1938-1939. - Tourte & Petitin

Mais parmi tous les débats sur le vêtement scolaire, c’est évidemment celui qui porte sur la laïcité qui a été le plus vif aux cours des dernières années. C’est en 1989 que le sujet a émergé avec l’interdiction d’accès au collège de deux élèves voilées, à Creil. Le Conseil d’Etat avait finalement renvoyé aux établissements la décision d’accepter ou non ce type de tenues. En 1994, une circulaire avait interdit le port de signes religieux ostentatoires, avant que la loi du 15 mars 2004 n'enfonce le clou en interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Les syndicats de chefs d’établissements ont demandé à plusieurs reprises des consignes claires sur la liste des tenues interdites, ce qui n’a pour l’instant pas été suivi d’effet. D’où le débat actuel sur les abayas.

Source: 20 Minutes