En Russie, les personnes transgenres victimes de l’offensive de Poutine

June 11, 2023
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ReportageDepuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les personnes transgenres sont considérées comme des ennemis intérieurs. Un projet de loi, déposé le 31 mai, prévoit d’interdire toute possibilité de changer son identité ou de suivre un traitement hormonal. Une persécution qui s’inscrit dans la rhétorique anti-Occident du Kremlin.

Pour un pays qui s’est érigé en phare mondial du conservatisme, la chose est tout sauf intuitive. En Russie, une personne transgenre n’a qu’à pousser la porte d’un hôpital public ou d’une clinique privée pour obtenir, quelques mois plus tard, grâce à un document médical et sans aucune obligation de traitement, le droit de changer ses documents d’identité.

Dans la pratique, les choses s’avèrent souvent plus compliquées, mais le constat n’en reste pas moins vrai : « Dans ce domaine, la Russie fait partie des pays les plus libéraux au monde », affirme Vladimir Komov. Ce juriste de 30 ans dirige l’organisation Delo LGBT +. Autant dire qu’il a rarement l’occasion de se réjouir et guère l’habitude d’adresser des compliments à son gouvernement.

« Pendant des années, les personnes transgenres étaient tout simplement invisibles pour l’Etat, ce qui explique qu’elles n’ont pas subi de pressions particulières », explique-t-il dans le petit bureau moscovite de son association, créée il y a seulement un an, truffé de caméras pour éviter les agressions.

« Surenchère verbale et législative »

A partir du début des années 1990, la puissante école russe de psychiatrie a évolué sur le sujet et rompu avec le regard restrictif qui prévalait à l’époque soviétique, sans rencontrer de résistance particulière dans la société. Une première législation est adoptée en 1997. Pour obtenir une modification de ses documents d’identité – et même de l’acte de naissance –, une personne transgenre majeure doit obtenir l’avis favorable d’une commission médicale, dirigée par un psychiatre, qui délivre un diagnostic de « transsexualisme » (un terme que les personnes transgenres réfutent). Le tout prend quelques mois, avec des consultations régulières.

Depuis 2018, la validation d’un juge n’est plus nécessaire. Sur le papier, le suivi d’un traitement hormonal agissant sur les caractères sexuels secondaires (comme la pilosité ou la poitrine) ou l’apparence de la personne ne sont pas censés être pris en compte.

Cette exception – cette incongruité, presque – vit ses dernières heures. Le 31 mai, un projet de loi prohibant le « changement de sexe » (un terme également rejeté par les personnes transgenres) a été déposé à la Douma, l’Assemblée russe, par près de 400 élus et son adoption rapide ne fait aucun doute.

Le texte interdit toute modification des documents d’identité mais aussi toute « intervention médicale », exception faite des cas d’« anomalies congénitales » chez des enfants. « Ces derniers mois, la surenchère verbale contre les personnes transgenres s’est accompagnée d’une surenchère législative, rappelle Vladimir Komov. Plusieurs projets concurrents ont été déposés et c’est le plus restrictif qui a été choisi. »

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Source: Le Monde