ENTRETIEN. " On nous a fait croire que le sexe était la pierre angulaire de l’amour ", assure Ovidie

April 28, 2023
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Ce n’est « ni un essai, ni un manifeste », prévient-elle. Plutôt un « exutoire, un texte cathartique, un discours de colère ». Dans La chair est triste hélas (Julliard, 2023), récit intime enlevé et énervé, l’autrice et documentariste Ovidie narre sa grève du sexe hétérosexuelle entamée il y a un peu plus de quatre ans.

Au travers de cette sortie de la sexualité, il y a pour la militante féministe désabusée une volonté de sortir des codes de l’hétérosexualité qui façonnent nos interactions, parfois de manière inconsciente. Dans un grand entretien, Ovidie livre la genèse de son ouvrage, écrit « dans un jet de sincérité », mais aussi son analyse sur l’amour, le sexe et le désir « dans un champ de ruines » d’un monde post #MeToo.

Comment est né ce livre ?

Vanessa Springora m’a contacté quand elle envisageait de créer une collection autour de la sexualité. Je lui ai répondu : « Vous ne pouvez pas tomber plus mal ! » Ça devait faire deux ans et demi que je n’avais plus de rapports sexuels. Je lui ai dit que je me sentais bien incapable d’écrire quelque chose de positif sur la sexualité, que si je devais écrire quelque chose, ce serait sur ma non-sexualité mais ça ne me semblait pas réaliste avec son projet. Mais elle pensait vraiment que ça aurait sa place. Le projet était déjà là et l’été dernier, après une chute sur la tête, tout est sorti d’une traite. Comme une accumulation, un trop-plein, qui avait besoin de sortir. Je pense que ce coup sur la tête m’a permis d’ouvrir les vannes. Ça m’a permis cette écriture automatique, comme dans un état second, peu importent les conséquences, un jet de sincérité, de colère. J’ai envoyé ma première version du texte à Vanessa fin septembre, elle me l’a renvoyé avec quelques commentaires en marge ce qui m’a obligé à me relire et je me suis dit : « Comment je vais faire pour assumer ça ? » C’était comme si j’avais réussi à verbaliser tout ce que je m’interdis de verbaliser d’habitude.

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Qu’est-ce qui a motivé votre arrêt de la sexualité ?

Ça remonte à 2018, j’avais 38 ans à ce moment-là. Il n’y a pas eu d’arrêt net du jour au lendemain. Il y a eu d’abord un espacement, comme chez beaucoup de gens. Trois mois, six mois, neuf mois… et au bout d’un an, je me suis dit : « Tiens ». J’approchais de la quarantaine, le temps des bilans, un temps où l’on se demande ce que l’on vaut. Se sont mélangées des questions sur ma valeur en tant que femme, sur ma potentielle « date de péremption ». À 40 ans, aux yeux de la société, on est censée continuer à avoir une vie sexuelle épanouie. En revanche, on nous pousse gentiment vers la sortie au moment de la ménopause. J’avais bien conscience que dix ans avant, c’était une anomalie. Mais je me suis rendu compte que les rapports ne me manquaient pas donc je n’y suis pas retournée. Je ne m’interdis rien, d’ailleurs deux fois j’ai « remis une pièce dans la machine ». La première fois c’était catastrophique et ça n’a fait que renforcer mon choix. La deuxième fois, ça n’était pas si mal mais je me suis dit que je ne serai pas prête à refaire toute la série de concessions que j’ai pu faire par le passé.

C’est-à-dire ?

L’une de mes premières motivations a été : « Je ne veux plus avoir mal ». Pas seulement pendant les 7 min 30 réglementaires de rapport, mais en me préparant, en m’épilant, en faisant du cardio à jeun jusqu’à m’évanouir pour ne pas grossir… J’ai fait un jour l’expérience désastreuse de faire une cryolipolyse, et me dire : « Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je suis en train de cramer mes propres cellules ! » J’ai envisagé de faire un peeling et je me suis dit : « C’est quoi la prochaine étape ? Des injections ? Une opération ? » Ça m’est aussi arrivé, dans un moment de souffrance terrible...

Source: Ouest-France