Robert Boyer, économiste : " Pour faire face au réchauffement climatique, les économistes doivent prendre leurs responsabilités et changer leurs façons de réfléchir "

June 12, 2023
341 views

YANN LEGENDRE

En pleine épidémie de Covid-19, l’économiste Robert Boyer analysait la crise sanitaire comme le révélateur d’une diversité de crises profondes et imbriquées (Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte, 2020). Plus de deux ans après, il revient sur ces questions dans Macroéconomie et histoire (Classique Garnier, 2022), un ouvrage savant sur les relations difficiles entre économistes et historiens.

Comment l’étude des rapports entre la macroéconomie et l’histoire permet-elle de comprendre les crises du capitalisme ?

Les grandes crises économiques sont souvent des moments de rapprochement entre économistes et historiens. Ce fut le cas lors de la crise des années 1930, pendant laquelle la célèbre revue fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre, Annales d’histoire économique et sociale, a joué un grand rôle pour le réexamen par les économistes de leurs outils et de leurs méthodes.

Ernest Labrousse écrivait en 1932 que « chaque société a la conjecture et les crises de sa structure ». Cela dit bien les raisons de vouloir rapprocher théorie économique et histoire : il s’agit de comprendre, derrière les phénomènes visibles de la crise, des évolutions plus profondes et moins spontanément intelligibles de la structure sous-jacente. En un sens la théorie de la régulation [dont Robert Boyer est l’un des fondateurs] s’inscrit dans cette lignée.

Né en 1943, j’ai eu le sentiment de vivre un changement historique de ce type alors que j’étais encore jeune. Au début des années 1970, je travaillais à la direction de la prévision du ministère des finances. Nous avions construit un modèle assez élaboré par rapport aux standards de l’époque, appelé STAR, pour Schéma théorique d’accumulation et de répartition. En simulation sur le passé, il semblait tout prendre en compte. Pourtant il s’est retrouvé complètement dépassé face à la crise économique révélée par le choc pétrolier.

A la suite de Michel Aglietta, un petit groupe de chercheurs a voulu penser le changement auquel ils étaient confrontés, que la théorie standard était incapable de rendre compte. Se tourner vers l’histoire correspondait pour nous à une exigence scientifique, non pas à un impératif de pluridisciplinarité. Il fallait intégrer, à l’économie, un temps historique qui n’est pas le temps du calendrier : un temps fait d’innovations, de basculements et de décrochages. Non pas le temps du calcul rationnel des économistes, qui est homogène, mais celui des historiens qui est discontinu, ouvert sur la succession de périodes contrastées.

Il vous reste 73.99% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source: Le Monde