Crise alimentaire : comment la spéculation a amplifié la flambée des prix

June 13, 2023
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Silos à céréales, à Hutchinson, au Kansas. JIM WEST/REPORT DIGITAL-REA

C’est un des impensés de la réponse politique à la crise alimentaire mondiale et à l’inflation. Au moment où la planète connaît une nouvelle hausse de la faim depuis la pandémie de Covid-19, aggravée par la guerre en Ukraine, et une précarité alimentaire grandissante, la responsabilité des spéculateurs – souvent absente des débats – est de nouveau questionnée. Le rôle des activités spéculatives sur les cours mondiaux alimentaires avait été mis en évidence lors des émeutes de la faim de 2007-2008 en Afrique et en Asie. Mais depuis, les mesures de régulation ont été insuffisantes.

Dans une analyse conjointe publiée mardi 13 juin, les ONG CCFD-Terre solidaire et Foodwatch dénoncent la « financiarisation des marchés des matières premières agricoles ». « Comme en 2008 et en 2011, les crises alimentaires demeurent une opportunité de réaliser d’importants profits pour certains acteurs », écrivent-elles, dénonçant « un manque de transparence considérable », des données « largement insuffisantes » et « des indicateurs trop imprécis pour identifier l’ensemble des acteurs impliqués ».

Les deux associations ont travaillé à partir des données publiques hebdomadaires sur le marché à terme du blé Euronext basé à Paris, le cours Matif (pour « marché à terme international de France ») du blé, en analysant l’évolution de la place des différents acteurs de janvier 2020 à septembre 2022. « On s’est concentrés sur cette période marquée par la pandémie et la guerre en Ukraine, parce que c’est en temps de crise qu’un marché attire les acteurs financiers et les spéculateurs », précise Lorine Azoulai, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre solidaire.

Une vocation d’assurance-prix

Au début de la période étudiée, début 2020, les acteurs commerciaux, c’est-à-dire les vendeurs et acheteurs physiques de blé, occupaient environ trois quarts des positions du marché ; fin septembre 2022, ils n’en occupaient qu’un peu plus de la moitié, cédant du terrain aux acteurs financiers (fonds d’investissement, établissements de crédit, entreprises d’assurance, fonds de placement collectif…). « Si l’on regarde juste les achats, l’écart se creuse davantage, poursuit Lorine Azoulai. Fin septembre 2022, les acteurs financiers occupaient plus de la moitié des positions à l’achat, et à certaines périodes, comme en juin 2022, plus des trois quarts. »

Les marchés à terme, qui existent parallèlement aux marchés physiques, ont à l’origine une vocation d’assurance-prix, pour permettre à des vendeurs ou acheteurs de contractualiser une transaction pour un volume donné et un prix fixé. « Le problème c’est qu’en période de crise, l’objet social du marché à terme, les activités de couverture, devient très minoritaire, note Lorine Azoulai. Sur la première semaine de juin 2022, elles ne représentaient que 20 % des achats, les 80 % restant étant des achats spéculatifs. »

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Source: Le Monde