Dans le Montana, la jeunesse intente un premier procès historique lié au changement climatique

June 14, 2023
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Rikki Held (au centre) et d’autres plaignants à la cour d’Helena (Montana), le 12 juin 2023. THOM BRIDGE / AP

Il y a Rikki Held, 22 ans, Grace Gibson-Snyder, 19 ans, et les quatorze autres : Lander et Badge B., Sariel S., Kian T., Georgianna F., Eva L., Mika K., Olivia V., Jeffrey et Nathaniel K., Claire V., Ruby et Lilian D. et Taleah H… Agés de 5 ans à 22 ans, ces seize jeunes habitants du Montana ont engagé le 13 mars 2020 une action en justice contre cet Etat du nord-ouest des Etats-Unis, estimant que leur droit à un environnement sain avait été bafoué. Depuis le début de la semaine, l’affaire, baptisée « Held vs State of Montana », est devenue le premier procès lié au changement climatique dans l’histoire des Etats-Unis.

Malgré les manœuvres dilatoires engagées par l’Etat, les plaidoiries se sont ouvertes, lundi 12 juin, devant la cour de justice de la capitale, Helena. Elles devraient durer jusqu’au 23 juin, avant qu’une décision soit rendue à une date qui reste à déterminer.

Des droits protégés par la Constitution du Montana

Dans les faits, les plaignants affirment que les « effets dangereux des énergies fossiles et de la crise climatique » leur ont porté atteinte, les enfants étant « singulièrement vulnérables » à ces effets qui ne font qu’empirer. Selon eux, en soutenant un système énergétique basé sur les combustibles fossiles qui contribue à la crise climatique, le Montana viole leurs droits protégés depuis 1972 par la Constitution.

En effet, l’article II, section 3 de la Loi fondamentale du Montana précise que « toutes les personnes naissent libres et ont certains droits inaliénables. Ils comprennent le droit à un environnement propre et sain. . . . », tandis que l’article IX, section 1 affirme que « l’Etat et chaque personne doivent maintenir et améliorer un environnement propre et sain dans l’Etat du Montana pour les générations présentes et futures ». Outre le Montana, cinq autres Etats (Hawaï, Illinois, Massachusetts, Pennsylvanie et Rhode Island) mentionnent les droits environnementaux dans leur Constitution.

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Deux plaignantes, Rikki Held et Grace Gibson-Snyder, ont raconté comment leur mode de vie avait été directement affecté par les feux de forêt. La première a évoqué un incendie qui avait détruit des lignes à haute tension et coupé le courant du ranch familial pendant un mois, provoquant la mort de bétail car sa famille ne pouvait pas pomper d’eau. La seconde a évoqué un match de football pendant sa dernière année de lycée, en 2021, annulé au bout de vingt minutes en raison des fumées d’incendies.

Les seize jeunes n’exigent aucun dédommagement, mais réclament qu’une déclaration assumant que leurs droits ont été enfreints soit rédigée. Celle-ci doit constituer une première étape vers une action de la part des élus de l’Etat.

Le bilan carbone du Montana en débat

Dans ses propos liminaires, l’avocat Roger Sullivan a évoqué les effets du réchauffement climatique sur la jeunesse du Montana. « Chaleur, sécheresse, feux de forêt, pollution de l’air, violentes tempêtes, disparition de la faune locale, fonte des glaciers, perte de piliers et traditions familiales et culturelles », a-t-il listé, évoquant également les dégâts médicaux et psychologiques. En outre, l’avocat a argué que l’Etat avait mené une politique énergétique désastreuse, libérant 166 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO 2 ) chaque année dans l’atmosphère, l’équivalent d’un pays comme l’Argentine, alors que le Montana ne compte qu’un peu plus d’un million d’habitants.

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Le climatologue Steve Running, appelé à témoigner par l’accusation, a exposé lundi les preuves scientifiques de la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique. Le Montana connaît, par exemple, des hivers plus courts rallongeant la saison des feux, a-t-il noté.

Le procureur général du Montana, Michael Russell, a pour sa part affirmé qu’au cours des débats le tribunal entendrait des « suppositions » concernant « ce que le futur peut réserver, y compris des affirmations radicales et grandiloquentes sur un destin tragique qui nous attend tous ». Selon lui, la loi au cœur des débats du procès ne peut pas être à l’origine des dommages dont les plaignants se sont dits victimes. « Les émissions [de CO 2 ] du Montana sont simplement trop minuscules pour faire une quelconque différence », a affirmé M. Russell, jugeant que le changement climatique était une « question mondiale », dans laquelle l’Etat jouait un rôle de « simple spectateur ».

L’action de Our Children’s Trust

Les prémices de l’affaire Held vs State of Montana remontent à 2011, lorsque l’association environnementaliste américaine Our Children’s Trust a demandé à la Cour suprême du Montana de statuer sur l’obligation de l’Etat de lutter contre le changement climatique. La Cour suprême a refusé d’intervenir, expliquant ainsi à l’association qu’elle devait s’adresser aux tribunaux de première instance. Les avocats de l’ONG ont bâti un dossier, identifié de potentiels plaignants, répertorié les effets du changement climatique sur l’Etat, documentant le soutien apporté par l’Etat à l’industrie des combustibles fossiles, etc.

L’ONG, qui a intenté des procès aux gouvernements locaux des Etats au nom de jeunes dans les cinquante Etats des Etats-Unis, est aussi à l’origine de l’affaire Juliana vs United States. En 2015, vingt et un jeunes Américaines et Américains avaient introduit un recours contre le gouvernement fédéral pour manque de protection contre le changement climatique, sans parvenir à un procès, l’affaire étant toujours en instance.

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S’agissant de l’affaire Held vs State of Montana, Michael Gerrard, directeur du Sabin Center for Climate Change Law à la Columbia Law School expliquait en mars au New York Times qu’il « n’y a pratiquement pas eu de procès sur le changement climatique ». « C’est le premier qui abordera les effets du changement climatique et les mesures à prendre, ainsi que la manière dont l’Etat pourrait être amené à modifier ses pratiques. »

Le Monde avec AFP

Source: Le Monde