l'immense réservoir de Kakhovka se vide inexorablement après la destruction du barrage
En amont, l'eau douce laisse place à une étendue de boue odorante, redessinant toute une région.
Tandis que l'aval du barrage est inondé, une immense mer artificielle se réduit comme peau de chagrin. Après la destruction du barrage de Kakhovka, les habitants vivant en amont de la structure découvrent un paysage inédit de bancs de vase.
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Le niveau du réservoir a baissé de 3,5 mètres les trois jours suivant l'explosion, selon les données du projet Theia, puis de deux mètres chaque jour. Une semaine après la rupture du barrage, mardi 13 juin, le réservoir avait perdu 72% de son eau, selon la compagnie Ukrhydroenergo. Sur la plage centrale de Zaporijjia, des riverains, équipés de détecteurs de métaux, tentent de mettre au jour d'hypothétiques trésors enfouis.
Des habitants de la région de Zaporijjia sur les rives asséchées du réservoir de Kakhovka (Ukraine), le 11 juin 2023. (ANATOLII STEPANOV / AFP)
La baisse des eaux a déjà laissé émerger les restes d'un pont temporaire en bois, rapporte la réserve naturelle de Khortytsia. Celui-ci avait été bâti en 1944 par l'Armée rouge après le retrait de l'armée allemande de la rive occidentale.
Des monceaux de détritus
Plus fréquemment, ce sont les déchets qui affleurent désormais à la surface. A Zaporijjia, des habitants ont organisé des collectes pour débarrasser la rive de monceaux de détritus.
Un pont temporaire bâti en 1944 a fait surface un peu au sud de la ville de Zaporijjia, a annoncé la réserve naturelle de Khortytsia, le 10 juin 2023. (RESERVE NATURELLE DE KHORTYTSIA / FACEBOOK)
Des habitants de Zaporijia participent à une collecte pour nettoyer la rive asséchée du réservoir de Kakhovka (Ukraine), le 10 juin 2023. (ALBERT KOSHELEV/ SIPA / SIPA)
Dans le secteur de Nikopol, un peu plus au sud, le journaliste ukrainien Denis Kazanskiï a partagé d'autres découvertes : des armes anciennes et des crânes de soldats allemands, qui semblent dater de la Seconde Guerre mondiale, quand les environs ont été le théâtre de féroces batailles.
Le journaliste ukrainien Denis Kazanskiï a partagé plusieurs de ses découvertes sur les rives asséchées du réservoir de Kakhovka aux environs de Nikopol, le 12 juin 2023. (DENIS KAZANSKIÏ / FACEBOOK)
La ville est située à une petite dizaine de kilomètres d'Enerhodar, qui accueille la centrale nucléaire de la région de Zaporijjia. Les bancs de sable se multiplient et donnent l'illusion d'un espace désertique. "Le niveau du fleuve [Dnipro] baisse chaque jour. On avait jusqu'à huit mètres de profondeur, regardez : il ne reste plus que des flaques d'eau", explique un couple rencontré par une équipe de franceinfo.
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Les autorités locales ont toutefois défendu aux habitants de se déplacer sur les rives asséchées et d'y pratiquer des loisirs.
La centrale nucléaire de Zaporijjia et les zones asséchées du Dnipro, en amont du barrage de Nova Kakhovka. (OMAR OUAHMANE / RADIO FRANCE)
Le niveau d'eau enregistré à Nikopol était d'environ 17,3 mètres avant la destruction du barrage. Quatre jours plus tard, samedi, il était descendu à 10,55 mètres, puis à 9,04 mètres lundi. Depuis, le niveau est si bas que les capteurs de la compagnie Ukrhydroenergo sont dans l'incapacité de le mesurer, explique le ministère de l'Environnement.
Les experts cherchent de nouveaux moyens de surveiller son évolution, alors que le fleuve retrouve, peu à peu, son lit d'origine, avant la construction du barrage dans les années 1950.
L'eau potable commence à manquer
Les observations par satellite permettent de constater l'ampleur de la catastrophe. L'image animée ci-dessous compare la situation entre le 5 juin, à la veille de la destruction du barrage, et le 13 juin. La ville de Nikopol est située sur la pointe visible sur la rive nord, et la centrale nucléaire se trouve juste en face, avec son bassin de rétention rectangulaire. La destruction du barrage, l'un des six conçus à l'époque soviétique sur le fleuve Dnipro, a entraîné des conséquences incontrôlables. Lundi, le réservoir avait déjà perdu 14,4 kilomètres cubes d'eau, sur les 19 initiaux, a précisé le ministère de l'Environnement ukrainien sur Telegram.
Cette mort programmée affecte directement l'approvisionnement en eau de plusieurs villes. A Nikopol, il n'y a plus d'eau au robinet, car les pompes ne parviennent plus à la prélever dans le réservoir. Les habitants sont désormais ravitaillés par des camions-citernes, et les files d'attente se multiplient devant les 169 points de distribution, a détaillé sur Telegram le gouverneur régional de Dnipropetrovs.
Le 15 juin 2023, 169 points de distribution avaient été mis en place pour approvisionner les habitants de Nikopol en eau potable. (VILLE DE NIKOPOL / TELEGRAM)
A Kryvyi Rih, 70 kilomètres plus au nord-ouest, "les entreprises industrielles ont déjà réduit leur consommation au strict minimum", écrivait le 11 juin sur Telegram Oleksandr Vilkoul, chargé de l'administration militaire locale, dimanche dernier. L'eau était rationnée à quatre heures par jour dans plusieurs villages. Le responsable demandait à la population de la ville de réduire sa consommation de 40%. Au total, 300 000 Ukrainiens sont déjà privés d'eau potable depuis la destruction du barrage.
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De nombreuses espèces d'oiseaux et de poissons, par ailleurs, souffrent déjà de la transformation de leur environnement. A terme, enfin, le déficit d'eau sera compensé par un afflux d'eau salée dans l'estuaire du fleuve Dnipro. "Inévitablement, cela détruira la plupart des espèces indigènes de la flore et de la faune d'eau douce", a expliqué à franceinfo l'hydrologue ukrainien Yevhen Korzhov.
Des milliers de poissons asphyxiés à Marianske, près de Nikopol (Ukraine), le 14 juin 2023. (FRANCE TELEVISIONS)
Cette évolution menace également les activités agricoles, car il n'y aura pas assez d'eau pour les canaux d'irrigation habituellement alimentés par le réservoir, expliquait Roger Falconer, ingénieur des eaux à l'université de Cardiff, dans un article de la revue Nature. "Cela pourrait affecter les cultures en aval et en amont."
Pour ne rien arranger, le réservoir alimente non seulement les territoires périphériques, mais également le canal de Crimée du Nord. Au total, entre 1,5 et 2 millions de tonnes de céréales sont désormais "à risque", a estimé l'analyse Maxence Devilliers, cité par l'AFP. Certaines parcelles, dévastées par les inondations, ne pourront pas être récoltées, et d'autres seront privées d'irrigation cet été. "Il faudra entre trois et sept ans pour rétablir l'irrigation" dans toute la région, a averti le ministre de l'Agriculture ukrainien, Mykola Solskiy, évoquant "un problème pour de nombreuses années."
Source: franceinfo