Le réalisme politique à l’épreuve du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman

June 16, 2023
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Emmanuel Macron devait déjeuner vendredi 16 juin avec le dirigeant d’un pays qui ne cesse de s’affirmer. Venu passer quelques jours dans le somptueux château qu’il possède à Louveciennes (Yvelines) avant une conférence internationale consacrée à la dette des pays émergents organisée par Paris, le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman s’est invité à l’Elysée.

C’est peu de dire que le personnage alimente la controverse. Son pays a beau être en mesure de s’acheter une image grâce à ses pétrodollars, ni le flot d’événements et de stars du sport qu’il attire ni ses projets de développement pharaoniques n’effacent ce qui constitue déjà son bilan : la destruction d’un pays, le Yémen ; le meurtre et le démembrement d’un dissident, le journaliste Jamal Khashoggi, avec des méthodes dignes d’organisations mafieuses ; une modernisation autoritaire du royaume, enfin, ponctuée par des exécutions capitales.

Mohammed Ben Salman a tout pour être infréquentable. La puissance financière de son pays, celle que lui octroient ses immenses ressources énergétiques, et surtout les réajustements géopolitiques en cours le rendent pourtant difficilement contournable.

Signes d’indépendance

Emmanuel Macron a fait depuis longtemps cette analyse. Le président français avait été d’ailleurs le premier dirigeant d’importance à se rendre dans le royaume après l’émotion suscitée par l’affaire Khashoggi. Le revers humiliant essuyé par son homologue des Etats-Unis, Joe Biden, qui s’était rendu piteusement à Djedda en 2022 pour quémander en vain une hausse de la production de pétrole après avoir juré qu’il ferait du prince un « paria », n’a pu que le conforter dans la conviction que les pays occidentaux n’étaient pas en mesure de l’ostraciser au nom des valeurs qu’ils prétendent défendre.

En quelques mois, le royaume a multiplié les signes d’indépendance. Etroitement lié militairement, des décennies durant, aux Etats-Unis, il a conclu un rapprochement avec l’Iran sous les auspices du grand rival de Washington, Pékin. L’Arabie saoudite, qui se tient obstinément à distance dans le conflit ukrainien, a également affiché publiquement ses désaccords avec Moscou en matière de niveaux de production de pétrole.

Longtemps, les pays attachés au libéralisme politique et à la défense des droits humains ont rivalisé d’hypocrisie avec le royaume saoudien dans l’espoir de contrats mirifiques qui relevaient souvent de mirages. Ils sont contraints aujourd’hui d’en rabattre pour éviter que le prince héritier s’éloigne plus encore de leur camp.

Ce réalisme, ou proclamé tel, n’est évidemment guère glorieux. Il ne peut se justifier que s’il produit des résultats là où Riyad peut faire jouer son influence, qu’il s’agisse du conflit ukrainien ou de l’impasse politique qui paralyse le Liban.

Mohammed Ben Salman doit comprendre comme tous ses pairs autocrates que les intérêts d’un pays, dans les désordres que traverse le monde, sont rarement étroitement nationaux et plus sûrement communs au plus grand nombre. Qu’il s’agisse de la lutte contre le dérèglement climatique, du respect de la Charte des Nations unies et de ses principes comme la souveraineté et l’intégrité territoriale de ses membres, ou encore de la riposte aux nouvelles pandémies, les preuves s’accumulent à l’appui de cette évidence. C’est être réellement réaliste que de le rappeler.

Le Monde

Source: Le Monde